[Cet texte utilise des informations et des citations
-
d'un article de Ayça Söylemez dans bianet.org du 10 février 2023 ,
-
du communiqué de presse du ÇHD (10 février 2023).]
La page d'ouverture du site de la ÇHD inscrit délibérément l'association dans l'action politique et l'opposition aux pouvoirs en place, depuis 1974
De même que la TMMOB, l'Association des avocats contemporains (Çağdaş Hukukçular Derneği, ÇHD) est un élément essentiel de la société civile turque. Elle a été, depuis sa fondation en 1974, de tous les combats et protestations. Comme beaucoup de personnalités et d'associations, elle estime que, si un tremblement de terre est inévitable, des mesures de prévention et des normes sévères dans la construction permetraient de limiter les pertes humaines et matérielles.
Aussi, à la suite du séisme du 6 février, l'Association a déposé une plainte auprès du procureur de Şanlıurfa, pour homicide involontaire (article 81, 21/2 du code pénal), homicide par négligence (article 83/1-2) et blessures aggravées (article 87/1-2-4).
Les responsables de l'Association s'appuient sur des expertises de scientifiques et chambres professionnelels, antérieures au séisme, établissant que si aucune mesure n'était prise en urgence, les conséquences d'un tremblement de terre dans la région de Maraş seraient inévitablement catastrophiques.
« Depuis de nombreuses années, les scientifiques et les chambres professionnelles mettent en garde contre le risque sismique en Turquie, des rapports ont été publiés et de nombreuses études ont été proposées. Nombre de ces rapports, études et explications sont résumés dans nos plaintes. L'une des caractéristiques les plus frappantes de ces faits, qui appellent constamment les autorités et les responsables à prendre des mesures efficaces, est que les régions où le tremblement de terre est susceptible de se produire sont nommément mentionnées et que la magnitude du tremblement de terre est quantitativement très proche de la magnitude réelle. Lorsque toutes ces études sont prises en considération, il devient clair que tant la magnitude que les conséquences destructrices du tremblement de terre étaient prévues par les responsables, mais que malgré toutes leurs connaissances et leur clairvoyance, ils n'ont pris aucune mesure. »
« Le tremblement de terre, quelle que soit son intensité, ne peut être accepté comme la seule cause de la destruction qui s'est produite aujourd'hui. Ce qui détermine l'issue du tremblement de terre, ce sont les mesures prises - ou non - dans les pays exposés aux séismes comme la Turquie. Malgré la prévisibilité du tremblement de terre, la législation n'a pas été suffisamment renforcée, les problèmes de construction urbaine n'ont pas été résolus et les inspections des bâtiments n'ont pas été effectuées. Au contraire, des constructions contraires à la législation en vigueur ont été tolérées par des appels d'offres douteux, des inspections n'ont pas été effectuées et des permis ont continué à être distribués, qu'ils passent ou non le test sismique. Dans cette situation, il n'est pas possible de qualifier de négligence ou d'imprudence cette situation grave survenue en raison de l'ignorance des avertissements pertinents. »
Extrait du site de l'entreprise de BTP Özkan İnşaat, dont des "réalisations" se sont écroulées à Antakya: "Des réalités magnifiques: 126 projets achevés, 2136 clients satisfaits, 984 emplois" (https://www.ozkan-insaat.com/)",
La première mesure à prendre, souligne la requête de l'Association, est une interdiction de quitter le territoire et des mesures de contrôle judiciaire pour les personnes incriminées, car la longue durée prévisible des procédures judiciaires risquerait d'instaurer dans la société un sentiment d'impunité.
L'enquête devra porter sur les projets architecturaux, leur conformité aux lois en vigueur et aux règlements sur les structures, la qualité du béton et des fers à béton, la qualité et les dimensions des colonnes, des poutres et des étriers, leur espacement, les éventuels défauts de fabrication.
Il est à prévoir que les bâtiments écroulés seront déblayés quand tout espoir de survie des victimes sera perdu. Aussi, il serait urgent que des comités d'experts soient dépèchés sur les lieux avant l'évacuation des débris. C'est évidemment impossible, vu l'ampleur des destructions. Il faudrait donc prélever très rapidement des échantillons du béton, de l'acier utilisé dans le béton armé, en les classifiant soigneusement, bâtiment par bâtiment, avant de les mettre sous scellés, pour servir aux expertises ultérieures.
En attendant, la requête de la ÇHD demande que les responsables – personnes physiques et morales - de tous niveaux soient cités à comparaître : institutions et municipalités, autorités ayant délivré les permis de construire et les certificats de conformité, institutions d'inspection et de contrôle des chantiers.
L'association dresse une longue liste nominative des responsables. En tête vient le président de la république Recep Tayyip Erdoğan, puis plusieurs ministres (de l'Intérieur, de l'Environnement et de l'Urbanisation, des Transports et Infrastructures, de la Santé), leurs vice-ministres et sous-secrétaires.
Suivent les président et vice-président de la commission parlementaire des travaux publics, le directeur général des autoroutes, le président et les vice-présidents et directeurs généraux et provinciaux de l'AFAD (l'organisme de gestion des catastrophes et situations d'urgence), tous nommément désignés ; également, les autorités signataires de toutes les institutions délivrant des permis de construire et permis de zonage et d'établissement, les autorités ayant failli dans leur obligation de contrôle, les entrepreneurs ayant construit les bâtiments écroulés, enfin les chefs de chantier et les personnes impliquées dans la supervision des bâtiments, la préparation et la mise en œuvre des plans, projets, dessins et calculs de bâtiments écroulés.
Cela fait du monde !
Et il n'est pas difficile de prévoir que si une procédure judiciaire est ouverte, si des jugements sont prononcés, ils viseront principalement le bas de la liste, les sous-fifres, les lampistes, les petits chefs. Les grands responsables, s'ils sont condamnés, auront des peines inversement proportionnelles à leur place dans la hiérarchie.
Les initiatives telles que celle de la ÇHD, ou celle de l'avocat Volkan Dülger (https://www.susam-sokak.fr/2023/02/deprem-3.html) sont certes un peu désespérées par rapport à la puissance de l'Etat, au système de corruption généralisée et à la complicité du système judiciaire. Mais ce sont des initiatives nécessaires et courageuses qu'il faut saluer et faire connaître.