Le TKAE et les Kurdes (2)
Ce texte fait suite à Le TKAE et les Kurdes (1)
Texte écrit en 1993, non publié.
APRES 1984
Ce discours du TKAE concernant le fait kurde s’est en partie tari après 1984. Peut-être les autorités culturelles de l'Etat ont-elles pris conscience du danger qu’il y avait à tenir de tels propos dans un contexte de soulèvement, ou même de simple tension qui justifiait le maintien de l’état de siège dans le sud-est. Alimenter ce discours, c’était jeter de l’huile sur le feu, exaspérer les « sécessionnistes » kurdes. Le TKAE n’a pas changé d’idées, mais les exprime autrement, et plus rarement.
Le premier changement est révélé par la publication, en 1986, d’un livre d'Ahmet Arvâsi, La vérité sur l’Anatolie orientale 1. Ahmet Arvâsi (1932-1988) est un enseignant originaire de Dogubeyazit, aux confins de l’Iran, en plein pays kurde ; on retrouve avec lui le cas de Bediüzzaman Saidinursi, de Ziya Gökalp, K.K. Kop et d’autres : originaires d'Anatolie orientale, ils rejoignent le pouvoir central dans son œuvre de turquification. Arvâsi jouit d’un prestige, d’une considération respectueuse de la part des tenants de la « synthèse turco-islamique » et l’anniversaire de sa mort est rappelé chaque année dans Türkiye par des articles importants 2.
La parution du livre d’Arvâsi marque un tournant, car il fait explicitement le lien entre le discours maladroit sur la « turcité » des Kurdes, et un discours utilisant des arguments plus sensés, en tout cas plus politiques, sans pour autant renoncer complètement à des développements pseudo-linguistiques pour étayer ses propos.
Laissons de côté ce type d’arguments 3 dont nous avons déjà montré plus haut, par suffisamment d’exemples, le caractère oiseux. Arvâsi place son livre dans la perspective de la synthèse turco-islamique, à laquelle il a consacré un autre ouvrage 4. Pour lui, la question de l’Anatolie orientale est à replacer dans ce contexte : c’est un point de vue d'ordre géopolitique, où il explique, lui aussi, que les « sécessionnistes » sont manipulés par des puissances étrangères qui en veulent à la Turquie. Mais il pousse son idée plus loin : affaiblir la Turquie, c’est affaiblir l’islam. Il rejoint sur ce point le discours typique de la « synthèse » :
« Je crois que tant que la nation turque-musulmane et son Etat sont puissants, le monde musulman l’est aussi. Dans le cas contraire, le monde musulman serait colonisé en même temps que le monde turc. Ce sont probablement nos ennemis qui le comprennent le mieux ; ainsi, la première cible des ‘forces du mal’ qui veulent soumettre le monde musulman, c’est l’Etat turc et le monde turc. (...) C’est pour cela que ceux qui veulent ruiner l’Etat turc et diviser la nation turque ne sont pas seulement des traîtres à la nation mais aussi des traîtres à l’Islam 5. »
Après cette mise en perspective de la question kurde dans un contexte dépassant celui de la Turquie, mais qui se démarque de la géopolitique habituelle (c’est-à-dire une perspective régionale moyen-orientale, alors qu’il se place dans une perspective religieuse), Arvâsi passe en revue les différentes composantes du problème : historiques, culturelles, sociales, géographiques, économiques, psychologiques, politiques et internationales. Le jugement que porte l‘étranger sur son pays le rend amer : pourquoi nie-t-on à la Turquie le droit d’être un Etat uni et millénaire alors qu’on ne met pas en doute la légitimité des Etats d’Amérique latine qui n’existent que depuis quatre siècles ? Il rappelle qu’il n’y a jamais eu d’Etat kurde, mais il perd de sa crédibilité, et enlève de la force à son argumentation en ajoutant qu’il n’y a pas de langue kurde. « Nous sommes turcs et musulmans, que vouloir de plus 6 ? » La question kurde, selon Arvâsi, n'est qu'une question de sous-développement : la paix sociale peut être obtenue par le développement économique du Sud-Est. On ne laissera aucune chance aux sécessionnistes si l’on désenclave les régions orientales.
« Les valeurs de la civilisation turco-islamique permettent de reconstruire tout l’Est grâce aux marchés, aux foires, aux universités et autres centres de culture 7. »
Sur le plan économique, le GAP 8fait partie de ce genre de réalisations qui ruineront les entreprises des sécessionnistes. Sur le plan culturel, Arvâsi regrette que « la jeunesse patriote et pieuse doive quitter notre Anatolie de l’est et du sud-est pour les grandes villes » où ils entrent en contact avec « les matérialistes et les sécessionnistes ». Le mal viendrait en partie de l’enseignement de l’histoire : on ne les rendrait pas capables de reconnaître les ennemis de la Turquie (les Russes, les Arméniens, les Bulgares, les Grecs), on ne leur apprendrait pas suffisamment les valeurs nationales sacrées. Lorsqu’on connaît les manuels d’histoire turcs 9, justement passablement imprégnés d’esprit chauvin et de mises en gardes contre l’ennemi, on se demande à quel niveau de vigilance et de méfiance veut en venir Arvâsi. Il suggère que, sur les places des villages, on érige des monuments aux morts, portant les noms des de ceux qui se sont sacrifiés à Çanakkale, et lors de la guerre de Libération, puis en Corée et à Chypre 10.
De plus, Arvâsi ne croit pas au développement d’un sentiment d’appartenance à l’identité kurde. Par une succession d’anecdotes, il cherche à montrer qu’en turc, le mot « kurde » est simplement synonyme de « rural », « villageois » (köylü) – justement le sens qu'avait le mot « turc » jusqu'au début du XXe siècle ! Evoquant un prône auquel il a assisté un jour à Van en 1978, au cours duquel l’imam évoquait la bataille de Malazgirt 11, il écrit :
« J’ai vu de mes yeux comme ce peuple qui emplissait la mosquée était, sans exception, turc et musulman comme Alparslan. [Notre peuple]a toujours été empli de cet enthousiasme national. »12
La bataille de Malazgirt, événement-symbole de l’unité turque, et surtout de l’adéquation proclamée entre la nation turque et le sol anatolien, et son héros Alparslan, sont invoqués comme le point focal, sacré, de l’unité nationale. C’est le point de départ, géographique et chronologique, de la nation turque actuelle. L’invoquer, c’est utiliser dans le discours un élément plus qu’historique, un élément fondateur, émotionnel qui fait consensus en Turquie.
Après Malazgirt, symbole du turquisme conquérant et s’établissant dans une nouvelle patrie, apparaît le symbole inverse, le traumatisme toujours vivace des Croisades : pour Arvâsi, comme pour bien d’autres 13, « l’esprit de croisade » se manifeste sous plusieurs visages : les Arméniens, marionnettes des Russes (image peu fréquente, car on les associe plutôt, de nos jours, à un « nouvel Israël ») ; les Français et leurs comités de solidarité à la révolution kurde ; les Américains avec leurs Peace Corps.
« La Rome chrétienne, Moscou la rouge, la France haineuse, Israël la rusée, la Grèce patiente, se donnent la main pour ruiner le monde turco-musulman et coloniser l’Islam 14. »
L’ensemble du livre baigne ainsi dans une atmosphère de hargne contre l’ennemi en général, arménien et grec en particulier ; de méfiance de l’étranger, pour ne pas dire de xénophobie ; de dévotion aux idéaux de la synthèse turco-islamique. Le contenu nationaliste de l’enseignement doit être renforcé, mais aussi le culte des lieux de mémoire qui maintiennent la cohésion de la nation, dont l’idée de monuments aux morts à la française est le meilleur symbole.
Et Arvâsi ne résiste pas à l’emploi du jeu de mot facile et inévitable « yabancı ve yalancı ideolojiler (idéologies étrangères et mensongères) ». Quels sont les Turcs qui s’y laissent prendre ?
« Quelques politiciens stupides, des écrivains imprudents, des pions abusés, des idéologues inconséquents ; des agents, des cadres qui ne connaissent plus les valeurs nationales ; différentes sortes de minoritaires racistes, de spécialistes étrangers, de missionnaires, de volontaires de la paix (...). Oui, c’est le moment d’être très vigilant 15. »
Arvâsi place donc la question kurde dans un contexte global, celui d’une double adéquation : entre les intérêts de la Turquie et ceux de l’Islam d’une part, entre les intérêts kurdes et ceux de l’ « étranger » de l’autre. L’élément local de chaque « couple » (la Turquie, les Kurdes) fait le jeu, ou représente les intérêts d’une puissance plus large (l’islam, la chrétienté et/ou l’Occident).
Pour un organisme comme le TKAE, publier un tel livre en 1986 n’est pas anodin ; c’est en contradiction complète avec l’image que veut donner d’elle-même la Turquie, puisque c’est peu après, le 14 avril 1987, que ce pays dépose officiellement sa demande d’adhésion à la CEE. Certes, le TKAE n’est pas l’Etat, Arvâsi n’a aucune fonction officielle, mais il exprime un point de vue partagé dans certains milieux influents, et pas seulement chez les ultra-nationalistes. Si l’on compare cet ouvrage avec celui de Turgut Özal 16, on a un bon exemple de contraste entre un discours interne, cherchant à dénoncer un ennemi omniprésent, fourbe et utilisant les Kurdes comme cinquième colonne, et un discours externe (celui d’Özal), vantant au contraire les bonnes relations entre la Turquie et l’Europe, et l’intérêt réciproque des deux parties dans l’adhésion de la Turquie à la CEE.
Les propos d'Arvâsi sont intéressants car ils émanent d’un enseignant. Il n’y a pas de contradiction entre le contenu de ce livre et les manuels scolaires d’histoire. Il y a simplement radicalisation du propos sur l’ennemi, une insistance plus lourde, mais une évocation semblable des événements sacrés ou traumatisants. Seul manque, chez Arvâsi, l’invocation constante au kémalisme dont il se démarque implicitement mais nettement (comme le fait le Foyer des Intellectuels aujourd’hui). Les manuels scolaires ne parlent évidemment pas des Kurdes, mais Arvâsi et toutes le publications du même type expliquent ce silence : il n’y a pas lieu d’en parler, c’est un problème imaginaire. Les propos qu’il tient dans la préface et cités plus haut sont tout-à-fait dans le prolongement de la rhétorique scolaire officielle, surtout sur la question de l’adéquation entre les intérêts des Turcs et ceux des musulmans.
Cette rhétorique est aussi celle du Foyer des Intellectuels, et l’ensemble des idées et stéréotypes employés par Arvâsi forment une grande partie du « prêt-à-penser » du quotidien Türkiye. On y trouve les mêmes idées géopolitiques, la dénonciation des mêmes ennemis, censés se cacher sous les mêmes masques. On y trouve la même méfiance de l’étranger et des cultures étrangères (qui provoque chez les Turcs émigrés en Europe une méfiance bien connue de leur environnement culturel 17), la même tendance au repli sur une version officielle et crispée de la culture nationale. Ahmet Arvâsi n’est pas un écrivain connu, mais son influence sur les milieux que nous étudions est importante : il est présenté comme un des idéologues de la synthèse turco-islamique.
On peut considérer l’édition d’une oeuvre d'Arvâsi par le TKAE comme un essai de théorisation du discours d’unicité ethnique, non plus par des arguments linguistiques ou onomastiques (Arvâsi, sans les négliger, s’y attarde assez peu), mais par une rhétorique de type géopolitique : accorder du crédit aux « sécessionnistes », c’est affaiblir la Turquie ; affaiblir la Turquie, c’est affaiblir l’Islam. Au lieu de s’enferrer dans des arguments peu crédibles, le TKAE rejoint, en publiant Arvâsi, une logique développée un peu partout dans le discours officiel ; et c’est au moins une idée qui a sa logique, digne d’être débattue, même si elle peut être contestée, discutée, rejetée par l’Occident ou le monde arabo-musulman, les deux ensembles pris à partie par Arvâsi.
PLUS RIGIDE QUE L’ETAT TURC... UN EXEMPLE DE REACTION A LA POLITIQUE D’OUVERTURE DU PRESIDENT ÖZAL
En somme, le TKAE s’est révélé, depuis 1980, comme une institution travaillant dans le sens du pouvoir sur les questions ethniques. Mais il semble que, ces dernières années, elle se montre plus rigide dans son unitarisme. En effet, la période 1989-1992 est marquée, à la fois, par une aggravation de la rébellion kurde (notamment au printemps 1992) et par des propos d’ouverture tenus par le président de la République : le 25 janvier 1991 est annoncée une possible légalisation de la langue kurde ; le 15 octobre 1991, le président Özal déclare dans Hürriyet : « Nous n’accepterons pas la fédération, mais nous devons parler de tout, y compris de fédération »18 ; le 8 décembre 1991, Süleyman Demirel, premier ministre depuis peu, déclare : « La Turquie a reconnu la réalité kurde (...). L’Etat turc est unitaire mais les populations de ce pays ont des origines différentes. Il faut accepter les relations entre les Kurdes de Turquie et les Kurdes d’autres pays19 ».
En janvier 1992, pour la première fois, un film en langue kurde était projeté à Diyarbakir ; au printemps 1992, enfin, le président Özal évoquait l’éventualité d’autoriser une chaîne de télévision en langue kurde. Le gouvernement semble hésiter entre la répression et une politique d’ouverture sincère qu’il espère capable de désamorcer la crise. Mais il s’agit du gouvernement. L’opinion de certains corps, comme l’armée, comme une partie de l’Université, et plus généralement des « forteresses » du kémalisme peut être sensiblement ou radicalement différente. Il en est ainsi du TKAE. Ahmet Bican Ercilasun, le directeur de Türk Kültürü, a lui-même vigoureusement réagi aux propositions de Turgut Özal dans un court article intitulé La langue officielle [de la Turquie] c’est le turc20.
L’auteur oppose à la proposition du Président de la République les articles 3 et 4 de la constitution :
« L’Etat turc (...) est un tout indivisible. Sa langue est le turc. » (art. 3). « Les dispositions prévues dans les articles 1, 2 et 3 ne sont pas modifiables et aucune modification ne peut être proposée. » (art. 4).
Pour A.B. Ercilasun, la TRT (Radio-Télévision turque) étant un organisme d’Etat, il ne peut être question d’y faire entendre une autre langue que le turc.
« Cet Etat a été fondé par la nation turque sous le nom de République de Turquie ; c’est donc un Etat uninational (tek milletli bir devlettir). Quelle que soit son origine, tout citoyen doit se considérer comme turc. (...) Nous n’avons pas pris cette terre aux Arméniens, ni aux Kurdes, ni aux Grecs actuels. Nous l’avons prise à Byzance en versant notre sang. Mais Byzance est enfouie depuis 539 ans dans l’obscurité de l’histoire. (...) Tandis que la Russie, elle, a détruit les Etats azéris et turkestanais pour venir sur leurs terres, nous n’avons pas détruit d’Etat arménien ni kurde ; nous avons vaincu Byzance. (...) »
Pour Ercilasun, accepter l’emploi de la langue kurde, même dans des circonstances précises (télévision, école), cela signifie que l’Etat lui-même créerait les conditions du développement d’une sécession, de la création d’un Etat kurde séparé. Répondant à ceux - nombreux en Turquie - qui estiment que l’ouverture, n’étant qu’une question de temps, est inévitable, il invoque - une fois encore - le caractère sacré, intangible, éternel de l’unicité de la nation turque, concrétisée par l’emploi d’une langue officielle unique.
Ce discours peut sembler désuet, et irrationnellement chauvin. Mais il faut justement, pour prendre la mesure exacte du problème kurde, insister sur l’irrationnel : lorsqu’on aborde la question de l’unité, on touche au sacré. Dans beaucoup de cercles, on ne peut discuter du problème en se cantonnant au domaine logique, politique, ethnique, culturel ; on glisse, dans les discussions ou, comme on l’a vu, dans le discours écrit, aux « valeurs éternelles » intangibles.
C’est une manière de clore le débat ; la discussion n’a pas lieu d’être. Chose remarquable, le sacré est tellement bien intégré dans l’imaginaire politique turc qu’il n’est plus besoin de faire référence explicite à Atatürk pour l’invoquer ou le justifier. La constitution est évoquée par Ercilasun comme on le ferait d’un commandement divin qui n’est et ne doit être sujet ni à discussion ni à réforme. C’est un dogme, au sens le plus religieux du terme. Les principes d’Atatürk sont devenus une sorte de surmoi implicite.
CONCLUSION
La littérature sur la question kurde est abondante. C’est un domaine d’édition qui commence seulement à s’épanouir depuis 1991 environ. Avant cette date, le sujet étant tabou, on trouve plutôt des ouvrages de la famille que nous avons examinée : lorsqu’on ose prononcer le mot « kurde », c’est pour nier l’existence du phénomène, ou l’assimiler, le phagocyter dans le fait turc. Le choix de nos sources pour ce chapitre peut étonner ; il se justifie précisément par le fait que ces livres s’apparentent à de la propagande, officielle ou officieuse, et sont une représentation de la société turque actuelle dans son aspect ethnique. Ces sources ont attiré notre attention parce qu’elles émanent du TKAE, organisme ayant une place et un rôle que d’autres envieraient dans le champ culturel turc.
Elles se veulent représentation, au sens presque commercial du mot : ce sont des ouvrages qu’on trouve facilement dans les librairies, les bibliothèques, même à l’étranger, dans les fonds spécialisés. Elles expriment une volonté de donner une image précise de la Turquie, une image unitaire. Il s’agit d’un discours interne, puisqu’il s’exprime en turc, mais aussi externe, puisque, par les envois systématiques dans les bibliothèques étrangères spécialisées (comme celle de l'INALCO à Paris), il cherche à s’adresser aussi aux étudiants turcs et aux turcologues.
On retrouve à cette occasion le fort souci d’image - ici particulièrement maladroit - de l’Etat turc. L’intérêt de la représentation fournie par les ouvrages examinés provient de sa situation au croisement du discours officiel, étatique, et de la synthèse turco-islamique. Elle manifeste le mode d’appréhension d’un problème interne par l’idéologie de la synthèse. Elle met à jour la permanence de la crispation de certains acteurs culturels turcs sur le dogme de l’unicité ethnique, et cela malgré l’atmosphère d’ouverture du début des années quatre-vingt-dix. Pourtant, mis à part les livres de S.K. Seferoglu, ce discours fait peu référence à Atatürk. C’est ce qui le démarque le plus des manuels scolaires.
Dans cette sphère du TKAE, on peut peut-être distinguer un pôle « kémaliste » représenté par Seferoglu, et un pôle plus religieux, représenté par Arvâsi, qui donne une plus large place à l’islam. Les sources présentées ici montrent qu’il s’est produit un déplacement entre deux paradigmes : la théorie de la langue solaire comme outil kémaliste de valorisation et d’unification du concept de turquisme ; et la synthèse turco-islamique, outil qui permet d’abandonner ces oripeaux un peu encombrants du kémalisme, et de replacer les problèmes dans une perspective de type géopolitique, plus proche du réel. Ce deuxième outil est plus présentable et surtout plus efficace car, se plaçant dans le champ politique et non plus seulement culturel, il permet une dénonciation de l’ennemi (l’Occident) qui, dans le cas présent, est censé soutenir la sécession.
Il apparaît à travers ces sources, que la synthèse turco-islamique est un outil beaucoup plus anti-occidental que les outils culturels du kémalisme première manière. Mais ces deux outils sont en décalage à la fois avec la rébellion et avec le discours de la coalition au pouvoir depuis 1991. Pour ce qui est le la rébellion, ou plus simplement du particularisme, aucun des outils utilisés par le nationalisme culturel turc n’est capable d’admettre le fait kurde, et donc d’écouter ses adversaires et de comprendre ce qui se passe dans le Sud-Est. Plus ce discours est influent, et plus le fossé sera profond entre deux catégories de citoyens turcs. En ce qui concerne le gouvernement turc, on aurait pu croire au début de 1991 que le discours de raidissement serait marginalisé par la politique d’ouverture de Turgut Özal. C’est apparemment le contraire qui s’est produit. Le soulèvement kurde du printemps 1992, l’intensification de la guerre civile dans le Sud-Est, et même l’assassinat de l’éditorialiste kémaliste Ugur Mumcu en janvier 1993 ont provoqué un sursaut kémaliste, qui risque de raidir la position officielle.
(Inédit, 1993)
Notes :