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Visite au tombeau d'Omar (Hazreti Ömer), sur la côte, près de Kyrenia. Un endroit merveilleux, un joli petit sanctuaire peint en blanc, tout au bord de la mer.
Pourtant, ici aussi le charme est rompu : pour y parvenir il faut traverser encore et encore des quartiers de villas. Heureusement, les abords immédiats sont protégés. Tout près de là, Lawrence Durrel séjournait dans une bicoque avec son amie. Il n'en reste que le soubassement, à peine visible.
Autour du tombeau, lieu de promenade mais aussi de saouleries entre jeunes et vraisemblablement de flirt puisqu'il est isolé, les rochers sont jonchés de canettes de bière, de verres brisés, de plastiques.
La vue donne aussi sur quelques miradors. Tout près en effet, un camp militaire, qui abrite aussi un centre de vacances pour familles d'officiers turcs. En un sens, heureusement qu'il y a des camps militaires, ce sont les seuls endroits protégés de la vague immobilière.
Car les camps sont tout aussi nombreux qu'auparavant. Cela n'a pas changé. La présence militaire est à peine plus discrète, car, au moins là où nous sommes allés, il n'y a plus de barrages, de chicanes, de contrôles sur les routes. Mais les camps et l'armée sont bien là.
***
Le soir, nous retrouvons des amis, pour un repas commun avec leurs enfants. Une jeune enseignante se plaint de la jeunesse de l'île : des vauriens sans éducation, enfants gâtés qui n'ont connu aucune difficulté et qui ont tout, tout de suite : téléphones dernier cri, voitures, vêtements de marque...
Au cours du repas – gastronomique et plantureux – et sans que nous n'y soyons pour rien, la conversation presque tout entière porte sur « eux », « ceux-là » - et chaque fois qu'on prononce cette expression on se tourne vers le nord : les Turcs de Turquie, « Türkiyeli », « TC'li ».
Depuis notre premier séjour ici, voici presque vingt ans, nous avons constaté une animosité presque générale contre eux, qui contraste avec le discours officiel, pénétré de reconnaissance envers les Turcs sauveurs.
Au début, on pouvait l'interpréter comme la réaction d'une petite société qui n'avait jamais connu sérieusement d'altérité chez elle, comparable à la « mentalité de fond de vallée » comme on dit en Alsace. Une société où, nous disait-on, on ne fermait jamais les portes à clé, une société sans voleurs.
Voici que, selon nos hôtes une fois de plus, le crime est arrivé dans l'île en même temps que les TC'li.
Il nous semble qu'après ces dix années au cours desquelles les Chypriotes turcs ont pu se familiariser à nouveau avec leurs compatriotes grecs, les premiers vivent une situation désespérante. Les Turcs chypriotes sont à peu près unis pour rejeter les Turcs de Turquie, ils ne perçoivent plus les Rum comme des ennemis et sentent que ceux-ci constituent l'altérité la plus proche d'eux – à peine une altérité – mais les Rum, pour beaucoup, les rejettent.
Seuls. Ils sont seuls, et savent qu'ils seront bientôt submergés par les Turcs et leurs manières, qu'ils méprisent. C'est maintenant un racisme généralisé envers les Anatoliens, Turcs ou Kurdes, plus nombreux qu'eux. Et pourtant comme ils sont contents, parfois, d'avoir sous la main une main-d’œuvre si bon marché !
Les parents n'ont qu'une préoccupation, mettre leurs enfants à l'abri de ces « étrangers ». C'est pourquoi les écoles privées fleurissent, souvent anglophones, où vont les vrais étrangers (Britanniques, Allemands et surtout Russes). Nos Chypriotes du nord préfèrent payer cher, plutôt que de voir leurs enfants côtoyer des enfants turcs ou kurdes.
Chers amis, réagissez autrement que par le racisme. Il y a parmi les Turcs de Turquie des gens très attachants, nés ici à Chypre, et qui aiment l'île autant que vous, et qui adoptent votre culture et même votre langage. Il y a de nombreux couples « mixtes ». Il y a parmi eux des opposants à la politique turque, il y a des laïcistes que les femmes voilées et la multiplication des mosquées ulcère autant que vous. La jeunesse turque est magnifique, celle du mouvement de Gezi, celle qui cherche à surpasser les mensonges d'Etat, celle qui cherche la voie vers la démocratie, celle qui veut la paix avec le passé et avec toutes les composantes de l'Anatolie. Inspirez-vous de ces mouvements !
Vous ne pourrez plus jamais éviter, dans quelque pays où vous vivez, de côtoyer des « étrangers » : cela, c'est fini, dans le monde entier.
Le racisme et la xénophobie vous feront rejoindre ceux que vous abhorriez, l'extrême-droite et les loups gris, et l'ultra-nationalisme qui a été la cause de tous vos malheurs. Avez-vous aimé l'EOKA et la TMT ? Voudriez-vous recommencer cette sale histoire contre d'autres prétendus ennemis ?