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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Petite histoire en mémoire D'Ayhan

Publié par Etienne Copeaux sur 14 Septembre 2014, 08:06am

Catégories : #Chypre

Le monastère de Vouno domine le village que les réfugiés de 1974 ont rebaptisé Taskent

Le monastère de Vouno domine le village que les réfugiés de 1974 ont rebaptisé Taskent

 

On ne s'habitue pas à la pièce de land art qu'est le drapeau géant peint sur le flanc sud du Pentadactyle (Besparmak), provocation destinée à la population de Nicosie-sud. En 1995 nous étions allés voir le chef-d'oeuvre de près (combien de tonnes de peinture?) et, dans le village tout à côté, nous avons rencontré un drôle de bonhomme, un héros de la réconciliation. Il s'apelait Ayhan Tayfuner, nous l'appelons Ibrahim dans notre livre.
Il avait créé là un petit salon de thé, en face d'une chapelle convertie en musée mémoriel. Il nous a expliqué que ce village où nous nous trouvions avait été appelé Taskent, en mémoire d'un autre Taskent, situé au sud, et dont le vrai nom est Tochni (tous les villages où vivaient des Turcs avaient deux noms). A la suite de la guerre de 1974, les Turcs de Tochni ont été relogés là, à Taskent, anciennement Vouno.
Le 15 août 1974 a été un jour de massacre à Tochni : plusieurs dizaines d'hommes parmi la population turque ont été raflés puis fusillés par l'EOKA-B; parmi eux, le père d'Ayhan et ses deux frères.
Malgré cela il a toujours cru à la paix et à la réconciliation. Devant son salon de thé, il a installé une fontaine dédiée à la mémoire de ses disparus et à la paix entre les deux communautés.
Nous l'avons revu chaque année de 2000 à 2004. Il nous a longuement raconté ses efforts pour la réconciliation, menés seul, sans le soutien d'un parti ou d'une association: c'était son affaire personnelle. Lorsque la ligne de démarcation a été ouverte en 2003, il a filé à Tochni et, nous a-t-il dit, il a pleuré comme jamais dans sa vie. Il a cherché à rencontrer les Grecs du village, qui se sont défilés.
Nous ne l'avons jamais revu. Une amie Chypriote nous a appris plus tard qu'il était décédé, vaincu par le cancer. Toute cette histoire, ces deuils, la réconciliation manquée, l'ont rongé.
Alors, hier, nous sommes retournés là-haut, à Vouno près du grand drapeau. La "Fontaine de la paix" n'existe plus. Seul, un panneau indiquant encore "Süleymanoglu pastahanesi" traine par terre. Le petit musée mémoriel est fermé.

La "Fontaine de la Paix" de Vouno, lors de notre première visite en octobre 1995. La plaque dit: "Nous n'avons pas oublié. En mémoire  de mon père Süleyman Mehmetali, de mes frères Mustafa et Tünser et des martyrs de Taskent, sauvagement massacrés le 15 août 1974. Ayhan Tayfuner a réalisé cette fontaine, qu'elle soit une fontaine de la paix, que leur âme repose en paix. 15 août 1995.
La "Fontaine de la Paix" de Vouno, lors de notre première visite en octobre 1995. La plaque dit: "Nous n'avons pas oublié. En mémoire  de mon père Süleyman Mehmetali, de mes frères Mustafa et Tünser et des martyrs de Taskent, sauvagement massacrés le 15 août 1974. Ayhan Tayfuner a réalisé cette fontaine, qu'elle soit une fontaine de la paix, que leur âme repose en paix. 15 août 1995.

La "Fontaine de la Paix" de Vouno, lors de notre première visite en octobre 1995. La plaque dit: "Nous n'avons pas oublié. En mémoire de mon père Süleyman Mehmetali, de mes frères Mustafa et Tünser et des martyrs de Taskent, sauvagement massacrés le 15 août 1974. Ayhan Tayfuner a réalisé cette fontaine, qu'elle soit une fontaine de la paix, que leur âme repose en paix. 15 août 1995.

L'ancienne pâtisserie d'Ayhan, en septembre 2014. La maison a changé de mains, la fontaine de la paix a été enlevée, il ne reste qu'un panneau rouillé.L'ancienne pâtisserie d'Ayhan, en septembre 2014. La maison a changé de mains, la fontaine de la paix a été enlevée, il ne reste qu'un panneau rouillé.

L'ancienne pâtisserie d'Ayhan, en septembre 2014. La maison a changé de mains, la fontaine de la paix a été enlevée, il ne reste qu'un panneau rouillé.

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