Blindé de la police devant le bureau de vote de Duruca, aux environs de Nusaybin, le 1 novembre 2015. Photo E.C.
Après avoir évoqué les réactions de la presse française après le 15 juillet, et rappelé les difficiles conditions d'existence de la démocratie en Turquie, j'évoquerai des opinions certes un peu provocatrices mais stimulantes sur la démocratie, notamment celles de deux politologues américaines, Wendy Brown et Kristin Ross, et d'un spécialiste du post-colonialisme, Achille Mbembe, grand connaisseur de l'oeuvre de Frantz Fanon, qui a publié récemment un ouvrage iconoclaste où il introduit la notion de « corps nocturne » de la démocratie. Ces auteurs nous aideront à replacer la « démocratie » turque, si elle existe, dans un cadre plus large.
Le régime politique de la Turquie est constitutionnel, républicain, parlementaire. Les élections s'y déroulent régulièrement, en accord avec la constitution et les lois électorales, et, la période de 1980 à 1983 mise à part, la vie politique consiste, depuis 1945, en une libre rivalité entre les partis. Il s'agirait donc, en théorie, d'une démocratie.
Recep Tayyip Erdogan est parvenu au pouvoir en conformité avec les règles constitutionnelles. Le Parti de la Justice et du Développement (AKP) qu'il a présidé de 2001 à 2014, a remporté les élections générales en 2002 (34 % des suffrages, 363 députés), en 2007 (46 %, 341 députés), 2011 (49 %, 327 députés), et 2015 (40 % le 7 juin, 49 % le 1er novembre) ce qui a permis au chef du parti d'exercer la fonction de premier ministre, avant qu'il ne soit élu président de la république (août 2014). Avec à ce jour quatorze ans d'exercice du pouvoir, c'est la plus longue période de stabilité politique depuis l'instauration du pluripartisme en 1945. Formellement, la légitimité d'Erdogan semble incontestable.
Mais la notion de légitimité, autant que celle de démocratie, fait débat. La république a commencé par une longue période de parti unique (1923-1945) et la démocratie ne figure pas parmi les six principes de base du kémalisme (les « six flèches »). Après l'instauration du pluripartisme en 1945, c'est le « Parti démocrate » qui a dirigé le pays durant dix ans (1950-1960) ; mais c'était un parti réactionnaire dont la gouvernance s'est terminée en une semi-dictature, interrompue par un premier coup d'Etat et l'exécution des dirigeants.
Le coup d'Etat est alors devenu un mode de régulation par l'intervention brutale de l'armée (1960, 1971, 1980) ou la simple menace d'intervention (1997). Aussi, de 1950 à nos jours, on devrait parler de séquences limitées de démocratie électorale. A l'intérieur de ces périodes, et en s'en tenant uniquement au fonctionnement du régime parlementaire, une démocratie formelle existe ; mais toujours, en quelque sorte, provisoirement, et au profit d'une partie limitée de la société, les régions kurdes, notamment, étant presque en permanence sous un régime d'exception. Si démocratie il y a, elle serait segmentaire.
Même dans la presse française, les avis et avertissements sur la nature réelle de la démocratie en Turquie n'ont pas manqué. A plusieurs reprises, depuis un an, des intellectuels et grands journalistes turcs (Oya Baydar, Can Dündar) avaient sonné l'alarme. Une sorte de malaise sourdait, dû aux atteintes aux libertés fondamentales, surtout depuis 2011, et à la répression impitoyable du soulèvement kurde dans le sud-est depuis l'été 2015, qui avait donné lieu à de nombreux reportages et analyses dans les grands médias (voir choix d'articles du Monde ci-dessous). Cela finissait par former un bruit de fond dans le monde des médias et dans l'opinion, à tel point que l'accord sur les migrants du 18 mars 2016, entre l'Union européenne (UE) et la Turquie avait été dénoncé comme une trahison envers les idéaux européens. La négociation d'Angela Merkel était dénoncée comme un « marchandage », Erdogan comme un « maître-chanteur » et Bruxelles trahissait les idéaux de l'Union.
Et pour s'en tenir aux deux semaines précédant la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016, Libération publiait – discrètement - le 22 juin un cri d'alarme de Christophe Deloine, secrétaire général de Reporters sans frontières : « Ankara tente de verrouiller totalement le système journalistique turc. (…) Le message que veut envoyer le régime d'Erdoğan c'est que, aujourd'hui, plus personne n'est à l'abri [de l'emprisonnement] ». Le lendemain 23, dressant le portrait du nouveau premier ministre turc Binali Yıldırım, Ragıp Duran citait le journaliste Özgür Mumcu (Cumhuriyet) : « Erdogan et Yıldırım ont pris ensemble le train de la folie qui roule à toute vitesse vers le mur ». Les graves restrictions aux libertés fondamentales et la « folie » du pouvoir n'empêchaient pas la plupart des analystes et personnalités politiques de considérer la Turquie, « notre alliée » dans l'OTAN, comme étant du bon côté. Le 28 juin, l'attentat de l'aéroport Atatürk d'Istanbul, vraisemblablement perpétré par l'Etat islamique, confortait cette vision : nous avons un ennemi commun, des problèmes communs.
On confond souvent démocratie et élections régulières, ou démocratie et parlementarisme. Bien entendu les critiques de cette conception étroite sont nombreuses, et les personnes qui s'expriment dans les médias n'en sont pas ignorantes, mais tout le jeu diplomatique, en ce qui concerne la Turquie, consiste à les ignorer et feindre de croire que la démocratie serait réduite à un processus électoral. C'est la forme la plus récente de la complaisance continue des puissances occidentales à l'égard de ce pays.
Après coup d'Etat manqué : Erdoğan serait-il le restaurateur de la démocratie ?
« Il n'est pas simple de mettre en accusation un gouvernement civil légitime qui vient de réchapper d'un putsch », écrivait Marc Semo dans Le Monde (22 juillet) : d'un côté la violence militaire, de l'autre Erdoğan, la peste et le choléra. Mais le choléra n'a pas été diagnostiqué immédiatement : l'Union européenne, le président du Conseil européen, le secrétaire général de l'OTAN, le secrétaire général de l'ONU, le Quai d'Orsay, déclaraient rejeter la violence et soutenir « la démocratie », c'est-à-dire Erdoğan : « L'Union européenne soutient totalement le gouvernement démocratiquement élu, les institutions du pays et l'Etat de droit » (communiqué de l'UE) ; « Il n'y a pas d'alternative à la démocratie et à l'Etat de droit » (Donald Tusk) ; « Éviter toute violence et respecter l'ordre démocratique », « Respect complet des institutions démocratiques turques et de sa constitution », « Réinstaurer le pouvoir civil (…) en accord avec les principes de démocratie », telles sont, le 17 juillet, les principales désignations diplomatiques de ce qui serait sauvé en même temps que le pouvoir d'Erdoğan.
Très vite, Erdoğan s'emparait du mot magique et jouait pleinement de l'ambiguité, de son élasticité, en déclarant « Jour de la démocratie » le jour de la défaite des putschistes, « Festivals de la démocratie » les rassemblements de soutien de ses partisans, et « Rassemblement pour la démocratie et les martyrs » l'immense meeting du 7 août. Le jeu de mots prenait une dimension orwellienne lorsqu'il annonçait que l'état d'exception était instauré « pour permettre d'éliminer les menaces qui pèsent sur la démocratie » (Le Monde, 22 juillet).
Il a fallu quelques jours pour que les appréciations des Occidentaux se nuancent. Erdoğan, dès sa première proclamation par téléphone, avait promis que les putschistes « allaient le payer cher », et la répression, les purges, visant d'abord les supposés « gülénistes » puis des cercles de plus en plus larges, a commencé d'inquiéter. Les plus lucides, comme le politologue Cengiz Aktar, prévenaient : « Après l'échec du coup d'Etat militaire la Turquie ne sera pas plus démocratique, comme des déclarations de l'intérieur et de l'étranger le sous-entendent maladroitement. La balance politique turque n'oscille plus depuis longtemps entre la démocratie et la dictature, mais entre deux factions dictatoriales » (Libération, 19 juillet). De même, l'écrivain Nedim Gürsel, sans remettre en cause la légitimité d'Erdoğan, estimait que « la démocratie n'existe plus depuis 2002 » (id.).
Les 19 et 20 juillet, les yeux se décillent enfin. Les ministres des affaires étrangères de l'UE appellent Erdogan au « respect des libertés » et John Kerry au « respect des institutions démocratiques », rappelant que l'OTAN a « des prérequis en matière de démocratie ». Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, enjoignait la Turquie de « respecter pleinement la démocratie et ses institutions ». Le 22 juillet, Le Monde risquait le terme « démocrature » pour désigner le régime qui se mettait en place.
Le dilemme se déplaçait ; il n'était plus entre des militaires putschistes et un régime légitime, mais entre un avant et un après le 15 juillet. Un avant qui aurait été, cahin-caha, démocratique, et, surgissant fin juillet, un après très inquiétant où se mettrait en place une « démocrature », un après où la Turquie « [risquait de tomber] dans un régime autoritaire antidémocratique » (éditorial du Monde, 9 août).
Le régime coercitif date-t-il de juillet 2016, de 2002, de 1980... ou plus loin encore ?
Il ressort des opinions évoquées que la Turquie, au cours de l'été 2016, serait seulement sur le point de connaître un régime coercitif. Cengiz Aktar et Nedim Gürsel, qui font remonter la césure à 2002, n'ont guère été entendus. Le régime d'Erdoğan, si « légitime » qu'il soit, est un régime de prévarication, de prébendes, de corruption. Il fonctionne pour un clan (dont les gülénistes ont fait partie). Cela suffit déjà à qualifier la démocratie turque comme « l'exercice du pouvoir le plus illimité par les plus puissants et les plus riches » (Kristin Ross). Mais elle peut être telle et pourtant résulter de la « volonté du peuple ».
Plusieurs éléments échappaient à l'attention des commentateurs, en cet été 2016.
C'est d'abord, au sein même du système parlementaire et constitutionnel turc (qui date de 1982), l'existence de dispositions, de pratiques et de manipulations de la loi qui contredisent formellement la notion de « démocratie ».
Ainsi, le barrage électoral de 10 %, qui empêche un parti d'être représenté à l'Assemblée s'il n'a pas obtenu 10 % des suffrages au niveau national. De cette manière les partis pro-kurdes, pendant plus de vingt ans, n'ont eu aucun député alors qu'ils rassemblaient souvent 50 à 60 % des voix dans leur circonscription. Le « barrage » n'a été franchi qu'en juin 2015, et ce fut une cataracte, par le HDP (de gauche et pro-kurde) qui obtenait 80 députés, mais ce scrutin a été annulé – par des voies légales.
Ensuite, la constitution et le code pénal comportent des articles anti-démocratiques sur lesquels peut s'appuyer une répression très large, grâce à des chefs d'inculpation vagues, comme « offense à la nation turque », « offense à la turcité », « offense à Atatürk », « offense à l'armée ». Il s'agit là d'articles répressifs pouvant être mis en œuvre en temps ordinaire, hors état d'exception. Parallèlement, le régime autoritaire institué en 1980-1982 a créé des institutions ad hoc pour le contrôle politique des universités et de l'enseignement (Yüksek Öğretim Kurulu, YÖK), la culture, les médias (RTÜK, créé en 1994), l'armée (la Haute assemblée militaire, qui l'épure chaque année), tandis que l'islam sunnite est entièrement sous contrôle d'une Direction des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı).
La loi anti-terroriste (Terörle mücadele kanunu n° 3713), promulguée en 1991, remplace une loi de 1920 réprimant la « trahison de la patrie ». Elle a permis l'interdiction régulière des partis soutenant la cause kurde. Elle est un outil pour une répression dans toutes les directions, par exemple en punissant, en 1996, de lourdes peines d'emprisonnement des étudiants manifestant contre la cherté des droits d’inscription en faculté. Elle élargit la répression puisqu'il suffit de qualifier un suspect de « participation à un mouvement terroriste » réel ou imaginaire.
Vient ensuite l'état d'exception (Olağanüstü Hal, OHAL), permis par une loi de 1983, en vigueur de 1987 à 2002 (mais en fait reconduit sous le nom de « zones de sécurité » qui peuvent être instaurées en vertu de la loi n° 2565 de 1981) dans la plupart des départements du sud-est et qui a donné un pouvoir discrétionnaire à un super-préfet régional, qu'on a appelé par dérision le « préfet du Kurdistan ».
Enfin les décrets de couvre-feu (qui s'appuient sur des lois de 1949 et 1983) interdisent à la population toute sortie hors du domicile (et cela peut durer des jours, voire des semaines), même pour aller à l'hôpital en cas de maladie ou de blessure grave, même pour enterrer les morts.
Ces mesures sont constitutionnelles ou résultent d'une interprétation élargie de la loi (par exemple, l'état d'exception avait été prévu pour les catastrophes naturelles) ; dans les régions kurdes, elles rendent légalement possible une répression illimitée par des troupes de choc de la police, y compris par bombardement et destruction d'immeubles ou de quartiers entiers, sans aucun égard pour la population civile considérée dans son ensemble comme « terroriste ».
Quelques jours après la tentative de putsch du 15 juillet, un nouvel état d'exception a été instauré par le Conseil national de sécurité et le Conseil des ministres, pour trois mois, sur tout le pays, en conformité avec la loi de 1983. Cette mesure légalise l'élargissement de la répression sur la société civile : arrestations de journalistes, de juges, d'avocats dès les premiers jours ; licenciement de plus de 60 000 fonctionnaires ; et en septembre, parmi d'autres mesures, destitution et mise sous tutelle de l'Etat de 28 municipalités tenues par le HDP dans le sud-est, et renvoi de plus de 11 000 enseignants, principalement dans les régions kurdes. Il apparaît très rapidement que la société civile qui soutient la recherche d'une solution pacifique au problème kurde est tout autant visée que les « gülénistes ».
Le 15 juillet représenterait-il une césure entre le caractère « démocratique » que l'Occident attribue au régime d'Erdoğan et une évolution vers un régime autoritaire ? Il s'agit en réalité de l'aggravation d'un état répressif préexistant, utilisant les mêmes moyens législatifs et administratifs.
La pratique de la violence n'est pas nouvelle sous Erdoğan
La pratique de la violence n'est pas propre à Erdoğan, elle n'est pas une nouveauté apparaissant avec les purges de l'été 2016. J'ai énuméré ci-dessus quelques-unes des lois qui fondent la violence légale. Mais la répression contre les mouvements kurdes, qui sera bientôt séculaire, est une succession d'états de guerre interne, et ses pics, au cours desquels on compte des milliers de morts, ont eu lieu en 1925, 1938 et durant la décennie 1990, avec le siège de plusieurs villes par l'armée qui a détruit des quartiers entiers, la destruction de 3 000 villages, le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes. La répression impitoyable de l'hiver 2015-1016 n'est aucunement une particularité de la gouvernance de l'AKP.
Mais la violence légale, officielle, ouverte, n'est pas la seule qui soit mise en œuvre par l'Etat. La pratique de la torture et des mauvais traitements est constante. Des milliers d'exécutions extra-judiciaires ont été opérées depuis les années 1970, décimant la société civile ; des centaines de personnes ont « disparu » après leur passage dans un commissariat ou une gendarmerie. En 1996, le scandale de Susurluk a mis en lumière la collusion étroite entre l'Etat (la police), l'extrême-droite, la mafia, et les tribus du sud-est qui sont contrôlées par l'une ou l'autre, et qui leur servent de rouage pour le contrôle de la population. L'ensemble forme le bras armé occulte de l'Etat.
A l'état de guerre contre les Kurdes, presque permanent depuis 1984, accompagné de violences et discriminations dans tout le pays, il faut ajouter les massacres à l'encontre des Alévis (1978, 1993, 1995) dont les acteurs n'ont pas été sérieusement pourchassés, la justice étant sous contrôle ; la violence dans le monde du travail, d'où est absente la sécurité tant physique que sociale ; la violence contre les femmes avec des centaines d'assassinats rarement punis comme tels ; etc.
Tout cela forme le fond, le terreau de la vie politique turque. Celle-ci, en outre, est imprégnée de pratiques plus ou moins licites qui en faussent le jeu. Les lois sont manipulables, amendables un peu à volonté. Pour ce faire, les majorités parlementaires se font et défont par achat de députés, qui « voyagent » très volontiers d'un parti à l'autre. Si nécessaire, les gouvernements organisent des élections anticipées au moment le plus favorable. Le jeu parlementaire est ponctué de dénis de démocratie, par exemple lorsque l'establishment politique tente d'empêcher par d'improbables coalitions l'arrivée au pouvoir d'un parti favorisé par les élections. De tels dénis peuvent agir dans les deux sens (le parti islamiste Refah, vainqueur des élections de décembre 1995, écarté du pouvoir jusqu'en juin 1996 ; le succès du HDP de juin 2015 annulé par un nouveau scrutin en novembre). On passe facilement du licite à l'illicite par la corruption. Mesut Yılmaz et Tansu Çiller, les deux ténors de la vie politique des années 1990 en étaient déjà familiers. Sous Erdoğan, le phénomène s'est considérablement amplifié.
Les élections générales de 2015 sont exemplaires de la comédie démocratique turque : le scrutin du 7 juin avait donné à l'AKP une majorité seulement relative, et pour la première fois, un parti pro-kurde, le HDP, franchissait le « barrage » avec 13 % des voix, et obtenait 80 députés. Mais il a suffi au pouvoir de retarder la constitution d'un gouvernement jusqu'à extinction du délai légal, ce qui a « nécessité » un nouveau scrutin. Ceci reste apparemment dans les limites de la légalité. Mais entre les deux scrutins, la violence, celle de l'Etat, et celle des milices, s'est déchaînée : les mesures de couvre-feu, la censure, des arrestations, le saccage des locaux du HDP, ont empêché ce parti de faire campagne. Le jour du scrutin, dans les régions kurdes, des blindés étaient en faction devant les bureaux de vote et des policiers lourdement armés se tenaient, menaçants, à l'entrée des bureaux de vote (voir cet article sur susam-sokak.fr).
Les partis les plus autoritaires, les pouvoirs les plus coercitifs reposent bien souvent sur le suffrage universel, produits par la population, authored by the people (Wendy Brown) ; ce fut le cas du parti nazi, et, en France, nous avons eu Napoléon III. En Turquie, il s'agit de pouvoirs coercitifs acceptés grâce à l'existence de ce que j'ai qualifié de « consensus obligatoire », une acceptation de l'autorité et de la coercition doublée d'une éducation à l'intolérance, une discipline acquise jour après jour à l'école, dans les casernes et les mosquées. Le consensus obligatoire écarte tout débat sur les questions brûlantes, et protège l'ordre établi par une pratique très large de la délation. Son efficacité est telle que la fraude électorale est inutile. C'est peut-être là la limite la plus grave à la démocratie en Turquie. Car la république de Turquie n'a jamais garanti l' « ouverture sur le large », elle n'a jamais été un pays où les citoyens seraient « libres de chercher et de faire valoir, sans cesse et chaque fois qu'il le faut la vérité, la raison, la justice et le bien commun », ce qui est la condition, selon Achille Mbembe, de l'existence de la démocratie (Politiques de l'inimitié, 2016, pp. 25-26).
« L'assentiment populaire envers les lois et les législateurs ne suffit pas à remplir la promesse démocratique », écrit la politologue Wendy Brown. Dans les régimes modernes, la démocratie serait en partie confondue avec la société de consommation. Les gens, selon W. Brown, voudraient seulement « moraliser, consommer, faire l'amour et se battre en attendant qu'on leur dise ce qu'il faut être, penser et faire pour diriger leur propre vie ».
Des policiers "accueillent" une délégation d'observateurs de France-Kurdistan à l'entrée d'un bureau de vote de Nusaybin (Turquie), le 1 novembre 2015. Photo publiée par Özgür Gündem, quotidien fermé par les autorités en été 2016
La marque « démocratie »
Le débat sur l'existence de la démocratie en Turquie est faussé, comme partout ailleurs, parce que le mot « démocratie » est devenu « une marque, un passeport pour la communauté internationale » (W. Brown), « un étendard, un slogan, une preuve de civilisation, et aussi un indispensable complément spirituel pour l'Occident civilisé et civilisateur, la feuille de vigne idéale » (Kristin Ross), voire « le faux nez du despotisme marchand » (Daniel Bensaïd). Le terme est tellement consensuel qu'aucun dirigeant au monde ne pourrait se permettre de se dire anti-démocrate.
Le système parlementaire lui-même agit comme une marque commerciale et sa propre garantie ; organisé pour sauver les apparences, il fonctionne dans la régularité, en respect des lois, de la constitution, des institutions, du suffrage universel. Mais, on le sait depuis la cité athénienne, il est limité à lui-même, exclut toujours un « grand Autre », que ce soit les esclaves, les femmes, les ouvriers, les colonisés, les étrangers, les immigrés, les Kurdes... Si l'on examine seulement le fonctionnement des institutions et des élections, « la démocratie » existe en Turquie. Mais, comme le souligne Wendy Brown, le terme ne précise pas « quels pouvoirs doivent être partagés (...), ni comment le pouvoir du peuple doit être organisé, ni par quelles institutions il doit être établi et assuré ». L'élasticité, la vacuité même du terme permet tous les abus, tous les dysfonctionnements, et surtout la répression de ce qui est étiqueté comme « autre », « étranger », « terroriste ».
Wendy Brown est sévère avec la démocratie telle qu'elle existe communément : l'Etat ayant fusionné avec le capital, écrit-elle, c'est essentiellement un système où se traitent les affaires ; les élections sont devenues une affaire de marketing politique ; la souveraineté est érodée par la mondialisation qui « frappe la démocratie d'incohérence » ; la politique sécuritaire croissante multiplie les mesures « dé-démocratisantes » et les grandes causes sociales et environnementales sont désormais jugées par des tribunaux qui subvertissent la démocratie en remplaçant le débat politique ; tout cela peut s'appliquer à la Turquie. Elle va plus loin : « La démocratie (…) a toujours été bordée par une zone non démocratique en périphérie, et a toujours eu un substrat interne non incorporé qui à la fois la soutient matériellement et lui sert à se définir par opposition ». La démocratie serait ainsi, depuis la cité athénienne, « un anti-universalisme avoué ».
« Périphérie non démocratique », « corps nocturne »
Les auteurs précédemment cités ne semblent pas connaître le cas turc. Mais ils vont nous aider à dépasser ce paradoxe : un pouvoir légitime et démocratiquement élu qui exerce une répression illimitée sur une partie de sa propre population. Pour comprendre, le mot « démocrature » n'est même pas nécessaire, car la répression, selon ces auteurs, ferait partie intégrante de ce qu'on appelle un peu vite la démocratie. Pour Wendy Brown, en raison des exclusions telles que l'esclavagisme, la colonisation, le prolétariat, les étrangers, les « autres » (en Turquie, les non-musulmans et les Kurdes), il existerait « une non-liberté patente et peut-être même nécessaire au cœur même de la démocratie ». Pour Kristin Ross, parlant de la France qu'elle connaît bien, l'accomplissement de la démocratie coïnciderait avec des massacres (la répression de la Commune de 1871), la colonisation, la grande boucherie de 1914-1918.
Certes, en Turquie, massacres et répression n'ont pas commencé avec la république, ni avec le multipartisme. Mais inversement, la démocratie parlementaire et le suffrage universel n'ont pas fait cesser la politique brutale. Celle-ci est menée à l'aide d'un arsenal législatif élaboré par un système parlementaire et des élus du peuple, tandis que le discours politique qui l'accompagne fait sans cesse référence à la démocratie. L'invocation constante d'une vertu peut signifier son absence. Ainsi, la démocratie serait en train de devenir un grand mythe politique turc, comme le sont déjà la tolérance et la laïcité.
Mais revenons sur l'idée d'une congruence entre démocratie et violence, comme le suggèrent Kristin Ross, Wendy Brown et Achille Mbembe.
Pour ce dernier, « l'idée selon laquelle la vie en démocratie serait fondamentalement paisible et dénuée de violence (…) ne résiste guère à l'examen. (…) Dès leur origine, les démocraties modernes ont toujours fait preuve d'une tolérance à l'égard d'une certaine violence politique, y compris illégale. » (Politiques de l'inimitié, p. 27). Mbembe s'appuie sur l'esclavagisme aux Etats-Unis et la colonisation, qui sont toutes deux le fait de démocraties, et qui seraient « le dépôt amer de la démocratie » (id., p. 32). Avançant plus près de nous dans l'histoire, et rejoignant les politologues américaines, il estime que « L'histoire de la démocratie moderne est, au fond, une histoire à deux visages, voire à deux corps – le corps solaire, d'une part, et le corps nocturne, d'autre part. » (id. p. 35).
La guerre coloniale aurait inventé un nouveau type d'ennemi, l'ennemi par nature. Elle serait « une guerre hors-la-loi menée par la démocratie qui, ce faisant, externalise la violence vers un tiers lieu régi par des conventions et des coutumes hors normes » (p. 39), et où la population est soumise à une violence constante (pp. 40-41). Il n'y aurait pas de démocratie « sans son double, sa colonie [dont] peu importent le nom et la structure. Celle-ci n'est pas extérieure à la démocratie. Elle n'est pas nécessairement située hors les murs. La démocratie porte la colonie en son sein, tout comme la colonie porte la démocratie, souvent sous les traits du masque » (p. 42).
Les idées d'Achille Mbembe sont-elles valides pour la Turquie ? L'image du corps solaire opposé au corps nocturne est intéressante. En Turquie, il existerait bien, selon ce schéma, un corps solaire, celui du système parlementaire, du suffrage universel, des élections régulières. Le corps nocturne, inséparable du solaire, serait l'ensemble continuellement répressif décrit précédemment. Pour reprendre l'épisode des dernières élections, le déni des résultats du scrutin du 7 juin 2015 et le nouveau scrutin du 1er novembre feraient partie du « corps solaire », apparemment démocratique. Mais les meutes d'activistes lancées contre le parti kurde pour l'empêcher de mener campagne en sont le « corps nocturne ».
La Turquie n'a pas de colonies hors de ses frontières. Mais « peu importe le nom et la structure » de la part d'ombre, qui n'est pas forcément « hors les murs ». La Turquie moderne a eu en son sein des altérités, considérées par le nationalisme comme irréductibles, car non musulmanes et/ou non turques : les « minorités » arménienne, orthodoxe et juive, les Alévis, les Kurdes. A l'échelle du pays, dans ses frontières, la Turquie aurait elle aussi ses « non-semblables, à maintenir fermement hors du cercle des semblables », formé par les Turcs musulmans sunnites. Il s'agit en Turquie d'une politique d'Etat qui a le mérite de la clarté, même aujourd'hui. A bien des égards, la politique menée contre les Arméniens au début du XXe siècle, les orthodoxes en 1955-1964, enfin les Kurdes, est menée par des moyens coloniaux, « une guerre hors-la-loi menée par une démocratie ».
La suite de la réflexion de Mbembe sur la « politique de l'inimitié » évoque de façon frappante ce qui s'est passé, ce qui se passe encore en Turquie : il existe un « désir-maître » qui a pour point de fixation l'autre, l'étranger, un désir qui est « ce mouvement par lequel le sujet, enveloppé de toutes parts par un singulier fantasme (d’omnipotence, d'ablation, de destruction, de persécution peu importe) cherche tantôt à se replier sur lui-même dans l'espoir d'assurer sa sécurité face au péril extérieur, et tantôt à sortir de lui-même et à affronter les moulins à vent de son imagination qui désormais l'assiègent. » Si cet objet n'existe pas, « il ne cesse de l'inventer » : « Désir d'ennemi, désir d'apartheid et fantasme d'extermination occupent, de nos jours, la place de ce cercle enchanté ». Ces phrases conviennent parfaitement à l'ultra-nationalisme turc.
Le désir d'élimination de l'Autre, qui, en Turquie, a été en partie accompli, s'accompagne d'un sentiment de perte, car l'Autre – on s'en aperçoit quand il n'est plus là – faisait intimement partie de soi. La perte de l'Autre engendre le mal-être, qui à son tour nourrit le désir-maître – et le nationalisme - si rien n'est fait pour « penser la perte ». Pour Mbembe dont l'objet est le monde colonial, ces flux pulsionnels, une fois inventés, « sont devenus constitutifs du moi colonial ».
Après la « perte » des Arméniens et des orthodoxes, le flux pulsionnel du nationalisme turc aurait maintenu, « irrépressibles, le désir d'ennemi, le désir d'apartheid, le fantasme d'extermination », entretenant « la relation de haine qui autorise que l'on puisse donner cours à toutes sortes de désirs autrement interdits. » Mbembe conclut radicalement que sans ces ennemis (réels ou imaginaires) les démocraties « ne peuvent se tenir debout ».
L'essai d'Achille Mbembe, écrit sur un ton rageur, est assez convainquant. Son raisonnement enrichit le regard sur le nationalisme, y compris turc, dont les agissements seraient le corps nocturne de la « démocratie » républicaine kémaliste, Atatürk et le kémalisme étant toujours perçus en Occident comme la part « solaire » de l'histoire du pays.
Ce schéma me semble également valide si l'on élargit la perspective. A l'échelle européenne, à l'échelle de l'OTAN, la Turquie apparaît comme faisant partie du « corps nocturne » de la démocratie européenne. C'est la cellule qu'on abandonne à l'ombre ; elle est proche, mais extérieure, et sa collaboration, son maintien dans « l'Occident » ou dans l'OTAN est jugée indispensable par les stratèges. Dans ce cas, peu importe que la Turquie soit ou ne soit pas démocratique, pourvu qu'elle joue son rôle pour contenir les dangers : le communisme naguère, l' « Etat islamique » actuellement. Qu'elle retienne les réfugiés syriens, et ses manquements à la démocratie seront pardonnés. La Turquie a constamment été pardonnée, l'Europe, l'Occident l'a constamment laissée développer le corps nocturne, pourvu qu'elle lui soit utile. Génocide, massacres, guerre contre des minorités linguistique ou religieuse, quelle importance puisqu'elle nous est extérieure ! Forte d'un calme social qu'elle maintient depuis 1923 par la violence et la coercition, la Turquie sert de barrage à différents dangers pour la démocratie européenne, ainsi que de réservoir de main-d'oeuvre. En cela, elle en est bien le « corps nocturne » et c'est sans doute la raison même de la constante complaisance à son égard.
Tout cela est bien décourageant. La démocratie n'existerait-elle nulle part sans créer de telles parts d'ombre ? Parmi les nouvelles déprimantes concernant l'exercice de la démocratie en France, aux Etats-Unis ou dans d'autres « vieilles démocraties », aussi bien qu'en Turquie, il reste toutefois, lorsqu'on cherche à la loupe dans les territoires ou dans le temps passé, des expériences, des lueurs d'espoir, des potentialités, consistant en résistances, en combats qui échappent à la logique électorale, à la domination de la médiocrité marchande, se heurtant malheureusement à la « majorité silencieuse » savamment manipulée par les pouvoirs.
Mais ces mouvements sont l'espoir, le « façonnement du monde » comme dit Wendy Brown : « La démocratie n'a jamais été réalisable mais a servi et sert encore de bouclier. Peut-être ne peut-elle se matérialiser que comme protestation, comme politique de résistance ». Pour Kristin Ross, elle serait « la capacité des gens ordinaires à découvrir des modes d'action pour agir sur des affaires communes ».
Cette capacité a engendré, peut-être, la Commune de 1871 en France. Sa répression sauvage donne la mesure de la peur qu'elle a inspirée à la « démocratie » républicaine naissante. Elle a engendré mai 68, et tous les mouvements de 68 dans le monde, y compris en Turquie. Elle continue d'agir en France à Notre-Dame-des-Landes, dans le mouvement Nuit debout, et tous les mouvements d'indignés de la terre.
En Turquie, cette capacité anime tous les mouvements de société civile depuis plus de vingt ans, le mouvement des mères du samedi, les luttes de soutien aux emprisonnés, la dénonciation des crimes et de la collusion entre l'Etat et la mafia en 1997, les luttes environnementales souvent initiées par de courageux villageois comme à Bergama ou, aujourd'hui, sur les côtes de la mer Noire. Elle existe, sans doute, dans les municipalités du sud-est tenues par le HDP, qui sont à l'avant-garde dans le combat pour toutes les égalités. Elle existe dans la conscience de personnalités admirables, journalistes, avocats, écrivains, sociologues, militant(e)s pacifistes, féministes, écologistes, militants des droits humains, étudiants, enseignants, qui n'ont même pas peur de la prison. Elle a inspiré les enfants de Gezi, dont le magnifique mouvement finira bien par ressurgir quelque part, sous une forme peut-être inattendue.
Références :
Bensaïd (Daniel), « Le scandale permanent », in Démocratie, dans quel état ?, ouvrage collectif, Paris, La Fabrique, 2009, pp. 27-58.
Brown (Wendy), « Nous sommes tous démocrates à présent », in Démocratie, dans quel état ?, ouvrage collectif, Paris, La Fabrique, 2009, pp. 59-76.
Mbembe (Achille), Politiques de l'inimitié, Paris, La Découverte, 2016.
Rancière (Jacques), La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005, 106 p.
Ross (Kristin), « Démocratie à vendre », in Démocratie, dans quel état ?, ouvrage collectif, Paris, La Fabrique, 2009, pp. 101-122.
Liens :
Topuz (Ali), « Cezası hafif, bedeli ağır: Sokağa çıkma yasağı, diktatoryal bir yetkidir », diken.com.tr, 9 octobre 2014, http://www.diken.com.tr/dusman-degil-o-oldurdukleriniz-yurttas/
« Ohal nedir, nasıl uygulanır, », aksam.com.tr, 25 juillet 2016, http://www.aksam.com.tr/guncel/ohal-nedir-turkiyede-ohal-mi-ilan-edilecek/haber-534622
Articles, reportages dans Le Monde (liste non limitative)
28 juillet 2015, « La Turquie lance l'offensive contre les Kurdes » (Allan Kaval)
31 juillet 2015, « Le président turc joue les pyromanes » (Kendal Nezan)
13 août 2015, « Les jeunes Kurdes de Turquie, d'une guerre à l'autre » (Allan Kaval) ; « M. Erdogan met le processus de paix avec le PKK 'au frigo' » (Marie Jégo)
18 août 2015 « M. Erdogan n'a pas renoncé à son pouvoir absolutiste » (Marie Jégo)
23 août 2015 « Erdogan retourne aux urnes en plein chaos » (Marie Jégo)
10 septembre 2015, « Des extrémistes turcs mettent à sac des locaux du parti prokurde » (Marie Jégo)
13 septembre 2015, « Le '18 brumaire' d'Erdogan en Turquie » (Oya Baydar)
13 octobre 2015, « En Turquie, le retour des pratiques troubles » (Marie Jégo)
13 octobre 2015, « Erdogan ou la politique du pire » (éditorial)
16 octobre 2015, « la Turquie dans le chaos » (Alain Frachon)
3 novembre 2015, « La Turquie aux mains d'Erdogan » (éditorial)
3 novembre 2015, « A Diyarbakır, 'le sentiment de vivre sous occupation étrangère' » (Allan Kaval)
10 novembre 2015, « Turquie : A Silvan la population kurde est 'lasse de la violence' », Allan Kaval
12 novembre 2015, « Bruxelles relève de 'graves reculs' sur les libertés en Turquie », Cécile Ducourtieux
15 novembre 2015, « En Turquie, on muselle les chiens de garde de la démocratie » (Christophe Deloire, Noam Chomsky)
1 décembre 2015, « La Turquie joue de la faiblesse européenne » (éditorial)
8 décembre 2015, « Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine, ces jumeaux » (Marie Jégo)
20 décembre 2015, « Scènes de guérilla dans les rues de Diyarbakır » (Marie Jégo)
12 janvier 2016, « En Turquie, Erdogan muselle la presse » (Can Dündar)
17 janvier 2016, « Ankara sévit contre des intellectuels pacifistes » (Marie Jégo)
14 février 2016, « Résistance et douleur, à Diyarbakır la kurde » (Marie Jégo)
23 février 2016, « A Nusaybin, les Kurdes face aux Turcs » (Allan Kaval)
1 mars 2016, « 'Depuis que nous avons vu le visage de l'Etat turc...' » (Allan Kaval)
8 mars 2016, « Les espoirs déçus des Kurdes de Turquie » (Marie Jégo)
17 mars 2016, « L'Union européenne a abandonné ceux qui se battent pour défendre les libertés en Turquie » (Can Dündar)
17 mars 2016, « Quand l'Europe s'accorde avec Ankara au détriment de ses valeurs » (Cécile Ducourtieux)
15 mars 2016, « Cizre, 'ville martyre' des Kurdes de Turquie » (Allan Kaval)
14 avril 2016, « Turquie-UE, Erdogan, du bon élève au maître-chanteur » (Marie Jégo)
28 avril 2016, « Le caractère laïc de l'Etat turc contesté » (Marie Jégo)
11 mai 2016, « Les journalistes turcs, ces héros » (éditorial)