Voici les valeurs pour lesquelles on envoie les commandos des unités spéciales au combat, contre les villes kurdes de Turquie et désormais contre les Kurdes de Syrie. Il faut le savoir et le faire savoir.
Prestation de serment des PÖH avant leur départ pour Afrin. En bas de l'écran à droite, le symbole du Loup Gris, symbole du parti fascisant MHP. Lieu non précisé. Capture d'écran sur la chaîne Polis Özel Harekat sur youtube
Les cérémonies organisées lors du départ des commandos pour la Syrie sont devenues un rituel prisé par la population et la presse. Dans son édition du 22 février 2018, le site beyazgazete.com rapporte des images significatives : drapeaux sur les terrasses, jets des rameaux d'olivier, prières publiques, chant de la marche des Mehter (une marche militaire ottomanisante), enfants vêtus de tenues léopard, sacrifice de béliers, distribution de drapeaux et de corans aux militaires...
Différentes formules de serments circulent, dont l'une, assez brève, commence par un Bismillahirahmanirahim (« Au nom de Dieu, le clément et le miséricordieux »), et se termine par « Nous vaincrons ! Nous vaincrons ! Nous vaincrons ! Que Dieu protège la police turque, que Dieu protège les soldats turcs, Amen ». Les commandos jurent fidélité à Allah, à la patrie, au drapeau, et jurent de mener un combat sans merci contre « les traîtres, les séparatistes, aux terroristes » (voir cet exemple, filmé à Nusaybin, sur la frontière, un autre à Yozgat, le « serment de vengeance » d'une unité féminine.
De très nombreuses scènes de prestation de serment sont disponibles sur les réseaux sociaux et sur youtube. Ce sont souvent des vidéos visiblement mises en ligne pour la propagande militaire, souvent agrémentées d'images patriotiques (le drapeau qui flotte au vent) et militaristes (clips de scènes de guerre ou plutôt de manœuvres militaires). D'autres ont été réalisées avec un smartphone par des amateurs se trouvant parmi les spectateurs, au plus près des militaires. Celle que je vais analyser pour vous tourne sur Facebook actuellement, mais malheureusement je ne peux pas la reproduire sur le blog. Le lieu et la date de l'enregistrement sont inconnus; toutefois, son contenu se rapportant clairement à l'invasion turque en Syrie, on peut la dater grossièrement de février 2018.
Ce texte est un plagiat d'une chanson d'Ozan Arif, « 13 Nisan (le 13 avril) » dont il reprend des strophes entières, tout en l'adaptant à l'actualité. Ozan Arif, barde d'extrême-droite bien connu, a vécu en Allemagne de 1980 à 1991 ; il participait presque toujours aux grands meetings de l'extrême-droite turque en Europe. Le texte du serment des unités spéciales, composé sur cette base, a été intitulé « Bizimleydi (Il était avec nous) ». On pourrait traduire ce titre en « Dieu est avec nous » sans trahir l'esprit du texte.
A la droite du vidéaste, un officier, tête découverte et sans galons, s'adresse à ses hommes, micro à la main. Derrière lui, des engins blindés dont le capot est recouvert d'un drapeau ; d'autres militaires d'âge mûr, probablement officiers, et des civils à l'air sévère, semblent surveiller la scène et l'assistance. Les hommes des commandos sont en treillis militaire, debout, les mains derrière le dos, coiffés d'un béret vert, ce qui les désigne comme étant des gendarmes des JÖH. A gauche de la scène attendent les autobus qui mèneront les « héros » au front.
L'officier s'adresse à la troupe en ces termes : « Ils ont essayé de bousiller notre nation paradisiaque à partir de la Syrie. Mais maintenant, avec la permission de Dieu, nous allons faire cesser leur petit jeu. Unités des opérations spéciales ! Répétez après moi, à haute voix ! ».
Il débite alors chaque vers, que les militaires et beaucoup de membres de l'assistance répètent après lui. Des dizaines de personnes filment sur leur smartphone mais on est surtout frappé par la présence d'une demi-douzaine de personnes équipées de matériel professionnel. Il s'agit donc d'une scène préparée pour la presse.
« Bizimleydi »
Voici le texte du serment, disponible sur le site du quotidien Takvim en date du 11 février 2018. Il se trouve également en sous-titrage sur une vidéo présentant le départ d'une autre unité de commandos, très diffusée sur youtube et datée également du 11 février. Par curiosité, si l'on ne craint pas la nausée, on peut aussi regarder une vidéo postée sur une page Facebook significativement intitulée « Bismillah », où le texte défile sur un fond d'images significatives.
« Le défunt kaghan Fatih Sultan Mehmet [Mehmet le Conquérant]
Qui a ouvert et fermé les âges de l'Histoire ; Kapı gibi çağ açıp kapatan cennet mekan Fatih Sultan Mehmet Han,
Alparslan, qui rugit à nouveau, yeniden kükredi bugün Alparslan,
Sont avec nous ! À Sur, ils étaient avec nous. bizimleydi, Surda bizimle.
Face à l'oppression des cruels athées Allah'sız zalimin zulmune karşı,
Nous opposons le trône de Dieu. Allah'ü Allah diye inlettik arşı.
Notre hymne national [Istiklal Marşı] a fait trembler les cieux : Semayı titretti İstiklal Marşı bizimleydi,
Il est avec nous, il était avec nous à Yüksekova. Yüksekovada bizimle.
Par Dieu ! Cela nous donne des ailes, Vallahi var bize kanat gerenler
Ils sont avec nous, ceux qui voient au fond des cœurs, bizimleydi, gönül gözü görenler,
Les saints, les prophètes, les derviches, evliyalar enbiyalar, erenler,
Ils sont avec nous, ils étaient avec nous à Idil. bizimleydi, İdil'de bizimle.
Tant que nous ferons la guerre, sur notre route sans fin, Ne kadar savaşsak bitmez yolumuz,
Notre poitrine est libre, mais notre bras est soumis. gövdemiz hür, lakin esir kolumuz.
L'Anatolie, ses monts et ses plaines, Tepeden tırnağa Anadolumuz
Est avec nous, elle était avec nous à Silvan. bizimleydi, Silvan'da bizimle.
Les Quarante et les Sept ont ouvert nos cœurs, Kırklar ve yediler açtı kucağı,
Ils font brûler notre foi de jour en jour. alevlendi her gün iman ocağı.
Le Prophète, le Généreux, l'Un Resuli ekremin tevhit sancağı
Est avec nous, il était avec nous à Nusaybin. Bizimleydi, Nusaybin'de bizimle.
Sans le Coran, sur nos lèvres et dans nos cœurs, Dilde ve gönülde var oldukça Kuran,
Pas de patrie, pas de foyer pour les Turcs ! olmaz vatan, olmaz Türk yurdu viran,
Vive le Turc ! Vive Touran ! yaşasın Türk oğlu, yaşasan Turan,
Le Loup gris est avec nous ! bizimleydi Bozkurtlar bizimle.
Aucune force, ni celle des chiens du PKK, Ne hain PKK itleri,
Ni celles du FETÖ, ces fils de putes, ne kahpe FETÖ'nün piçleri,
Ni celles des impérialistes qui sont derrière eux, ne de bunların emperyalist güçleri
Non, aucune force ne peut nous vaincre. yıldıramaz hiç bir kuvvet bizleri.
Mourir pour la patrie, c'est un honneur. Bu vatan için ölmek şeref verir bizlere.
Mourir pour le drapeau, c'est notre honneur. Bu bayrak için ölmek şeref verir bizlere.
Mourir pour ce combat ! C'est notre honneur ! Bu dava için ölmek şeref verir bizleri.
Dieu est Un ! Dieu est grand ! » Tekbir, Allah'ü ekber !
Le trésor de représentations
Ce texte appelle quelques commentaires, car il comporte un grand nombre d'index qui renvoient le subconscient au « trésor de représentations » (Freud) inculqué dans les esprits des citoyens de la Turquie par la propagande étatique, via l'école, la mosquée (où les sermons, comme on sait, sont contrôlés voire imposés par l'Etat) et l'armée. Comme de nombreux discours politiques, en particulier ceux d'Erdoğan, le texte du serment s'adresse au « savoir partagé », à ce que tout un chacun connaît. Ainsi le discours peut-il être immédiatement compris par l'auditoire. Mais il ne s'agit pas seulement d'une compréhension intellectuelle : on en attend une résonance affective, on s'adresse à l'affect de l'auditoire plus qu'à son intellect.
C'est la « pertinence » d'un discours, telle que la définissent Dan Sperber et Deirdre Wilson dans leur ouvrage du même nom. En écoutant un discours d'Erdoğan, en prononçant un tel serment, l'énonciateur et l'auditeur doivent vibrer, frémir, car le texte fait appel à toute leur éducation inconsciemment convoquée. Il fait appel à des connaissances historiques ou pseudo-historiques, religieuses, mythiques, qui ensemble forment le mythe national, dont l'efficacité est décuplée car il est inculqué « à l'âge de l'audition émerveillée », selon l'expression de la philosophe Clémence Ramnoux (voir les références en fin d'article).
Ces hommes des unités spéciales, et ceux qui les accompagnent avec ferveur lors de cette cérémonie du serment, portent en eux le sentiment de culpabilité d'un génocide, et la culpabilité ou le malaise dû à la négation du crime originel, même s'ils n'en sont pas conscients. Faute d'un travail de deuil impossible et d'ailleurs interdit, ils doivent surmonter le malaise en le sublimant, par des mécanismes de défense dont la mise en œuvre provoque, comme l'explique Alexander Mitscherlich, une limitation de la perception de la réalité et une augmentation des préjugés stéréotypés. Ces stéréotypes sont tous là, dans le texte du serment.
L'Histoire
Le texte du serment fait appel à l'Histoire, et à trois héros turcs, dont l'un n'est pas nommé – mais il est présent dans d'autres « lieux du discours ».
Le premier est le jeune sultan Mehmet Fatih (le Victorieux, le Conquérant), qui a pris Constantinople et mis fin à l'empire byzantin en 1453. Cette victoire insigne est appelée la Fetih, terme qui désigne une extension de la « maison de l'islam« , et donc une victoire avant tout religieuse. Mehmet le Conquérant est, dans le monde des représentations du pouvoir actuel et de l'idéologie de la « synthèse turco-islamique », le héros par excellence, car il a supprimé le dernier verrou qui n'appartenait pas encore aux Turcs, alors que la Thrace, la Bulgarie, la Serbie étaient déjà ottomanes depuis le XIVe siècle ; car il a fait preuve d'audace militaire par des manœuvres étonnantes ; enfin, car il a réussi là où les Arabes ont constamment échoué. La prise de Constantinople est la célébration historique préférée d'Erdoğan, à laquelle il a donné une dimension grandiose, qui surpasse les commémorations républicaines. La fête de l'anniversaire de la Fetih, chaque 27 mai, est historique, religieuse, mais elle est censée également célébrer la tolérance, prétendue éternelle qualité des Turcs, car le sultan aurait respecté la population chrétienne de la Ville... tout en convertissant la basilique Sainte-Sophie en mosquée. C'est tout cela qu'un Turc moyennement éduqué a en tête en prononçant le nom du Sultan ; un Turc nationaliste religieux y associe également une revendication, le retour au culte musulman de Sainte-Sophie, laïcisée et transformée en musée par Atatürk. En somme, la figure de Mehmet le Conquérant alimente puissamment le narcissisme turc, car « il a ouvert et fermé les âges de l'Histoire » en mettant fin au Moyen-Age, comme le veut la tradition historiographique occidentale classique.
Le second héros, moins connu hors de Turquie, est le kaghan seldjoukide Alparslan, vainqueur en 1071 de l'empire byzantin lors de la bataille de Malazgirt, en Anatolie orientale. C'est lui qui a « fait de l'Anatolie le pays des Turcs ». Son image a été utilisée par le kémalisme, dans l'enseignement scolaire ; il a même été traité en prédécesseur, annonciateur d'Atatürk. L'ennemi vaincu est en effet « le même » qu'en 1922 : ce sont les Grecs. Les qualités du kaghan Alparslan sont censées être les mêmes que celles d'Atatürk : le courage militaire, l'audace, et la magnanimité envers l'ennemi vaincu. Mais depuis quelques années, Alparslan est très prisé par Erdoğan, qui a senti qu'il y avait en lui un complément utile au culte de Mehmet le Conquérant, car chacun des héros s'est illustré à une extrémité de l'Anatolie. Entre Malazgirt et Constantinople, et entre les deux dates de 1071 et 1453 se situe la soumission des autochtones – qui, une fois vaincus, ne sont plus jamais mentionnés dans le récit historique – et une turquisation et islamisation progressives qui ne furent achevées qu'au XXe siècle par le génocide et les expulsions de masse.
Le troisième héros n'est pas nommé, c'est Atatürk. Il est présent par la mention de l'hymne national, symbole de la naissance de la république, substitut de l'image du Guide. Pourtant son image physique est présente, en grand format, lors de certaines de ces cérémonies (voir l'illustration de l'article précédent). Et la prise de contrôle d'Afrin a lieu le jour où Erdoğan célèbre à Çanakkale l'anniversaire de la bataille des Dardanelles (1915), victoire qui selon la légende kémaliste serait due au général Mustafa Kemal, futur Atatürk. Ce troisième héros est mis en veilleuse car, dans ces nouvelles représentations de l'Histoire, il n'est plus perçu comme le premier en tout, mais comme un simple continuateur des deux autres, en ce qu'il a protégé puis débarrassé la Turquie des puissances mécréantes, l'Angleterre, la France, l'Italie, la Grèce. Tel est le point commun entre les trois héros : ils ont vaincu les gavur.
La désignation de l'ennemi
L'adversaire par excellence, le Grec, reste ici dans l'implicite. Mais dans la perception de ce genre de texte, l'implicite joue son rôle car le texte comporte des « index » qui eux-mêmes convoquent dans les consciences des connaissances et des stéréotypes. Ainsi pendant des décennies, la propagande nationaliste a joué de la rivalité entre Turcs et Grecs (qu'ils soient Grecs de Grèce ou « Rum », orthodoxes d'Anatolie et de Chypre), et le nettoyage ethnique de l'Anatolie n'a pas seulement visé les Arméniens : les Rum en ont été victimes en 1914, en 1922, 1955-1964, et pour finir à Chypre en 1974. Selon la littérature d'extrême-droite, le Rum serait derrière toutes les tentatives de déstabilisation de la Turquie, derrière les Kurdes du PKK en particulier, comme l'expriment par exemple de très nombreuses caricatures que j'ai relevées au cours des années 1990 dans le quotidien Türkiye. Mais le Rum et le Grec, qui sont faibles, sont eux-mêmes manipulés par les puissances impérialistes, les Etats-unis, l'Union Européenne : nous revenons au texte du serment, « les impérialistes qui sont derrière » le PKK et les conjurateurs du FETÖ.
Le thème de la dénonciation des « impérialistes » traverse les clivages politiques, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche en passant par le kémalisme (Mustafa Kemal a débarrassé la Turquie de leur présence) et l'islam politique. La caricature politique continue de s'en servir, désignant l'ennemi de manière très convenue, comme on peut le voir sur les dessins de Kasım Özkan, admirateur d'Erdoğan, qui publie dans le quotidien national-islamiste Dirilis Postası (« La Renaissance »).
Caricatures de Kasım Özkan parues dans le quotidien Diriliş Postası, 25 octobre 2015 et 18 février 2018
Si le point commun des « impérialistes » est leur qualité de gavur (mécréants), l'auteur du texte et ses promoteurs n'ont pas osé utiliser ce mot. Mais il est également implicite, puisque les membres des commandos vont combattre au nom de l'islam. Or, les Kurdes sont généralement musulmans. Il importe de résoudre cette contradiction, pour qu'on puisse mener contre eux un combat religieux. On en fait donc, forcément, des « athées ». L'idée peut passer dans les esprits, en raison de l'appartenance du PKK, à l'origine, à la sphère marxiste-léniniste, et parce que la doxa du PKK, du HDP, des YPG, ne fait pas référence à la religion, et les zones contrôlées et administrées par les Kurdes (Afrin, Rojava) ne font en principe pas de distinctions religieuses. On peut donc partir au combat, au nom de Dieu, contre ces « athées »... d'autant que ce sont des « mécréants » qui les soutiennent. Il est plus difficile d'accuser d'athéisme les supposés membres de la mouvance Gülen (« FETÖ ») puisque leur chef est un prédicateur. Mais la propagande qualifie volontiers celui-ci de « chef des terroristes (teröristbaşı) » et le tour est joué, et l'on peut les qualifier de « chiens » et de « fils de putes ». Il s'agit d'un djihad, même si ce mot ne figure pas dans le serment.
C'est pourquoi les membres des commandos n'ont aucune peine à prononcer les noms des villes ou quartiers de villes kurdes de Turquie qui ont été sauvagement assiégés et réduits au cours de l'hiver 2015-2016, et dont les noms sont égrenés : Sur (le centre historique de Diyarbakır/Amed), Yüksekova (Gever), Idil (Hezex), Silvan (Farqîn), Nusaybin (Nisêbîn), où Dieu et les Loups gris étaient « à nos côtés ». Eux-mêmes ou leurs camarades sont convaincus qu'ils y ont combattu et tué « des athées », au nom de l'islam, comme je l'ai montré dans l'article qui précède.
« À nos côtés »
Le texte du serment comporte un autre élément implicite mais clairement désigné : le MHP, parti ultra-nationaliste fascisant, qui depuis les années 1970 inspire une grande partie de la politique même s'il a rarement été au pouvoir. Ses membres se désignent comme les « Loups gris (Bozkurt) », les « idéalistes (ülkücü) ».
Le Loup gris est une valeur ambivalente. L'animal est le totem légendaire des Turcs, au centre d'un récit des origines situé en un lieu tout aussi mythique d'Asie, la Touranie (Turan). Le totem et le récit exaltent, au XXe siècle, la pureté retrouvée et le caractère valeureux des Turcs. Leur charge mythique et pseudo-historique permet qu'on les mentionne sans avoir l'air de faire de la politique. Ils ont été utilisés par le kémalisme, mais comme ils ont été très vite confisqués par l'extrême-droite, la charge quasi fasciste des mots Bozkurt et Turan ne peut échapper à personne en Turquie.
L'idéologie de l'extrême-droite turque s'appuie toujours sur la religion. Aussi, il n'y a aucune difficulté à s'allier à la fois les valeurs du MHP et les valeurs religieuses. Les références à l'islam imprègnent le texte du serment, il est inutile de s'y appesantir : le trône de Dieu opposé aux athées, les saints, les prophètes, les derviches « qui voient au fond des coeurs » et auxquels « notre bras est soumis ». Ainsi, implicitement, l'appareil militaire turc est tout entier soumis aux saints et prophètes, et non plus à Atatürk bien que celui-ci soit toujours proclamé éternel chef des armées. Aux côtés des commandos figure toute la hiérarchie religieuse, depuis les Quarante et les Sept saints, jusqu'à l'Un en passant par le Prophète et le Coran, sans lequel « la nation n'existerait pas ». La profération du tekbir/Allahüekber, prononcé visiblement avec ferveur par les militaires et l'assistance, conclut et résume leur engagement.
***
Voici donc les valeurs pour lesquelles on envoie ces hommes au combat, contre les villes kurdes de Turquie et désormais contre les Kurdes de Syrie. Il faut le savoir et le faire savoir. Ces paroles glacent d'horreur et désespèrent les Turcs démocrates, qui expriment leur dégoût sur les réseaux sociaux.
A force d'être répété et retransmis par les médias, le texte du serment est en passe de devenir un poncif, une sorte de nouvel hymne national, dont le texte rassemble tous les stéréotypes historiques et nationaux. Ainsi, il dénote un esprit nouveau, l'idéologie de l'AKP, qui dans son discours donne une forte emphase au religieux, tout en reprenant des thèmes antérieurs de la propagande nationaliste.
Références
Ramnoux (Clémence), « Mythologiques du temps présent », Esprit, n° 402 (avril 1971), pp. 618-630.
Sperber (Dan), Wilson (Deirdre), La Pertinence. Communication et cognition, Paris, éditions de Minuit, 1989.
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