Qui sait par quels canaux passent les bonheurs et tout ce qu'on ressent, qui sait par quelles
voies on apprend et qui sait où et comment peut ressurgir ce qu'on a vu, lu, senti, expérimenté ? De retour d'Istanbul, après une journée de repos, j'ai pris mon instrument en mains et j'ai pu en
jouer avec la même facilité que celle qu'on éprouve en rêve. Toute la journée d'hier, sans fatigue, sans courbature, sans impatience.
Comme jamais.
Quel rapport? Je pense souvent à ces jeunes rencontrés l'autre matin dans un bar près de Dogan Apartman, et qui rayonnaient. Je pense au lycéen qui nous apprend, à nous les vieux, que l'essentiel
n'est pas de vaincre mais résister à long terme. Je pense à tout le bonheur qu'on ressentait place Taksim, au foisonnement d'idées. je pense à ces foules qui dansaient et chantaient rue de
Bagdad.
Et tout cela m'a fait du bien, tout cela a dû provoquer un changement en moi, dont les effets certainement vont se prolonger.
On peut être certain que ce changement, des millions de personnes l'éprouvent en Turquie, de manière bien plus puissante que ce que j'ai moi-même ressenti, que malgré la répression qui va
s'abattre c'est une immense vague de bonheur qui a déferlé. Et que malgré la répression qui va s'abattre tout cela va ressurgir un jour, ressortir sous des formes inattendues, à des moments
surprenants, oui tout cela ne va jamais cesser de nous surprendre car la Turquie est à la fois la musicienne et l'instrument de musique dont joue sa jeunesse, la Turquie que j'aime tant va
sonner, mieux sonner, comme un Stradivarius, et nous jouer bientôt UNE AUTRE MUSIQUE.