"Est-ce que Gezi est le mai 68 de la Turquie?"
C'est le thème d'une rencontre organisée ce vendredi 11 avril 2014 à 18h30, à l'Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne, aile Soufflot, 2e étage, salle 6.
Depuis le début du mouvement de Gezi, tous les Français de ma génération - ceux qui s'intéressent à la Turquie bien sûr - se sont posé cette question. On peut en débattre longtemps, d'autant que l'interprétation des événements de Gezi, même si elle a donné lieu déjà à de nombreuses publications, n'en est qu'à ses débuts. D'ailleurs, l'interprétation de mai 68 est-elle close?
Les manifestants de mai 68 criaient aux policiers : "CRS, SS !", assimilant les brutalités policières d'alors à la violence des SS de l'Allemagne nazie, ce qui a choqué ceux qui avaient vraiment connu cette époque. Pourtant, l'une des différences frappantes entre mai 68 et Gezi, c'est le changement d'échelle dans l'usage de la violence par les forces de police. On continue d'être étonné qu'en France, durant un mois entier de manifestations et d'affrontements, on n'ait eu à déplorer qu'un seul décès.
Ce bilan qui contraste avec les huit morts en Turquie est en partie dû au préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, qui a réussi à contenir les débordements. Son action au cours des événements de 1968 a été saluée de tous les côtés au moment de son décès en 2009.
Maurice Grimaud s'était adressé aux policiers en leur écrivant personnellement une lettre qui est à juste titre célèbre, qui devrait être exemplaire, et qui aborde de front "les excès dans l'emploi de la force". Voici le texte intégral de cette lettre. J'ignore si elle a été un jour traduite en turc, et si cela n'est pas le cas, il ne serait pas inutile de le faire et 'en diffuser le texte.
"Je m'adresse aujourd'hui à toute la Maison: aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence, c'est celui des excès dans l'emploi de la force.
"Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi: c'est notre réputation.
"Je sais pour en avoir parlé avec beaucoup d'entre vous que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez comme moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.
Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d'outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.
"Je suis allé toutes les fois que je l'ai pu au chevet de nos blessés, et c'est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu'au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.
"Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.
"C'est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l'ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d'accord, c'est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu'il s'agit de repousser, les hommes d'ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.
"Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.
"Je sais que ce je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j'ai raison et qu'au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.
"Si je parle ainsi, c'est parce que je suis solidaire de vous. Je l'ai déjà dit et je le répéterai: tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d'elle dans les responsabilités.
"C'est pour cela qu'il faut que nous soyons également tous solidaires dans l'application des directives que je rappelle aujourd'hui et dont dépend, j'en suis convaincu, l'avenir de la Préfecture de Police.
"Dites-vous bien et répétez-le autour de vous: toutes les fois qu'une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n'a pas de limites.
" Dites-vous bien aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s'ils ne le disent pas.
"Nous nous souviendrons, pour terminer, qu'être policier n'est pas un métier comme les autres; quand on l'a choisi, on en a accepté les dures exigences, mais aussi la grandeur.
"Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d'entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s'adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d'esprit déplorable d'une partie de la population, c'est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l'on cherche à donner de nous.
"Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l'œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j'entreprends et qui n'a d'autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la Nation."
Cette lettre a été publiée, entre autres, par le blog Liber@te que je vous recommande:
https://sites.google.com/site/libratextu/paroles-d-hommes/2009-maurice-grimaud-29-mai-1968