Voici tout d'abord une annonce.
Un groupe de citoyens turcs, Oy ve Ötesi, « Le vote et après » a réussi à réunir plus de 40 000 observateurs volontaires pour les élections du 1er novembre. Mais cela ne suffit pas ; il y en avait 55 000 dans 46 départements lors du scrutin du 7 juin, il faudrait en réunir au moins autant, mais en fait il en faudrait 100 000. On manque d'observateurs à Istanbul, dans les quartiers de Sultangazi, Gaziosmanpaşa, Bayrampaşa, Zeytinburnu, Sancaktepe, Sultanbeyli, Tuzla, et Pendik. Et pour la province, il en faut dans les départements de Konya, Aksaray, Isparta, Afyon, Urfa, Mardin, Diyarbakır, Trabzon.
Les membres du groupe essaient de rencontrer personnellement les candidats observateurs, pour les former et informer. Lorsque ce n'est pas possible, un guide est disponible sous forme d'une vidéo de 90 minutes (https://www.youtube.com/watch?v=zF2-SE1KfPs) (en turc). Le président du groupe Sercan Çelebi insiste sur cette nécessité de connaître le cadre juridique du scrutin, sans ces informations il craint que les observateurs soient sans influence.
Car le groupe Oy ve Ötesi a maintenant une certaine expérience, qui a débuté avec les municipales de mars 2014, puis les présidentielles d'août 2014, enfin les élections générales de juin dernier.
Si cela vous intéresse d'être observateur ou observatrice (il est nécessaire d'être citoyen turc), vous pouvez accéder ici (http://oyveotesi.org/1-kasim-2015-genel-secimleri/1-kasimda-nerelerdeyiz/) à la liste des bureaux de vote où une présence est nécessaire. Et si vous voulez vous engager, cliquez ici https://sandik.oyveotesi.org/users/sign_up.
(d'après Nilay Vardar bianet.org)
A gauche, Sara Kaya, co-maire de Nusaybin, emprisonnée depuis début septembre. A droite, Ahmet Türk lors du congrès sur l'autonomie locale, Diyarbakır, 17 septembre 2015. Photo publiée dans bianet.org
Hier je parlais de la « tranquillité » apparente de la ville de Derik, de son caractère ordinaire. En fait dans le département de Mardin, comme dans tout le sud-est, c'est le désordre qui règne, et la violence. Violence « légale » : depuis deux mois les arrestations se sont succédé parmi les co-président(e)s des municipalités BDP. Ainsi, dans le département de Mardin, Sara Kaya, co-maire de Nusaybin. Elle est en prison, comme 18 autres co-président(e)s, pour « appartenance à une organisation terroriste », depuis le 31 août, c'est-à-dire depuis que Nusaybin avait été déclarée « territoire autonome » (özyönetim).
En septembre, la question de l'autonomie des collectivités locales a fait l'objet d'un colloque du BDP, à Diyarbakır, sous la présidence d'Ahmet Türk, co-président de la municipalité de Mardin, qui a souligné que l'autonomie était un besoin légitime et démocratique qu'il fallait officialiser. « Les Kurdes, a-t-il déclaré, ont vécu sur ces terres de manière autonome depuis des siècles mais une fois de plus, ce besoin d'autonomie a été nié par l'Etat et rejeté hors de la légalité. Pourtant chacun sait que l'autonomie est réclamée dans tous les programmes, déclarations, manifestes, congrès et conférences, ouvertement, et qu'il faut formuler à nouveau cette demande, encore et encore. La question kurde est, à 90 %, un problème de gouvernance locale ; l'exemple le plus parlant, dans ce domaine, est sous nos yeux, c'est celui de Rojava [le Kurdistan syrien].
« La question de l'autonomie est un besoin fondamental pour le progrès de la démocratie en Turquie. C'est aussi une proposition féministe, c'est le moyen de venir à bout de la mentalité patriarcale et des problèmes qui en découlent.
« A cette demande légitime, l'Etat oppose des mesures de couvre-feu, d'état d'urgence, on limite les libertés fondamentales de la population, on procède à des gardes à vue et des arrestations. »
En 2013. Manifestation à la frontière entre Nusaybin (Turquie) et Qamishly (Syrie/Rojava), villes jumelles séparées par des barbelés. Photo publiée sur le site rojaciwan.com
Violence des armes
Septembre 2015 : à Dargeçit (à une centaine de km à l'est de Mardin), un engin blindé de la police saute sur une bombe placée par le PKK. Quatre policiers sont tués dont un directeur de la sûreté.
Et des violences partout, notamment Silvan, Varto, Midyat, Mardin... A Mardin ce ne sont pas seulement les Kurdes, mais aussi les Syriaques, les Arabes qui en font les frais. Les Arabes, dont beaucoup sont commerçants dans le centre de Mardin, se plaignent d'une dégringolade de leurs affaires. « Ça va très mal. Nous avons tous peur. Il y a des morts, du fait non seulement des militaires ou de la police, mais de civils. J'ai demandé à mes enfants, qui sont à Istanbul, de ne pas venir ici pour leurs vacances. Ça va trop mal. Quand la paix sera là, qu'ils viennent ! Nous aimerions pouvoir vivre dans la tranquillité, mais nous sommes toujours sous tension, dans la crainte. Que Dieu protège tous ceux qui sont pris dans ces affrontements. Et qu'on cesse de tuer des Kurdes ! »
Le 12 septembre, à Kızıltepe (20 km de Mardin), deux enfants se sont mis à jouer avec ce qu'ils prenaient pour une vulgaire bouteille en plastique. Il s'agissait d'une bombe artisanale, qui a explosé. Les deux enfants ont été blessés, l'un, Tahsin Uray, 9 ans, est mort à la suite de ses blessures.
Le 15 septembre, à Nusaybin, un véhicule blindé de la police a sauté sur une bombe télécommandée. Trois policiers dont un commissaire ont été tués.
Le 1er octobre, un accrochage avait eu lieu dans les monts Bagok entre une équipe du PKK et l'armée ; cinq militaires et un « gardien de village » avaient été blessés, dont un mortellement ; un guerillero du PKK avait également été tué. En conséquence, le couvre-feu a été déclaré à Nusaybin le 1er octobre. Il a duré cinq jours, d'abord dans certains quartiers, puis dans l'ensemble du territoire administratif de la ville.
Le couvre-feu ne s'est pas déroulé tranquillement. Depuis le siège de Cizre, en septembre dernier, on sait qu'un « couvre-feu » (sokaga çıkma yasagı) signifie siège de la ville par l'armée, la gendarmerie ou les « équipes spéciales ». Des blindés pénètrent dans les quartiers supposés soutenir les « terroristes », des tireurs d'élite prennent position sur les toits. La population est livrée à elle-même, souvent sans contact avec l'extérieur. Le député de Mardin lui-même, Mithat Sancar, avait été empêché d'entrer à Nusaybin. A Cizre, les ambulances étaient interdites d'accès dans la ville. A Nusaybin, un jeune de 24 ans a été tué à alors qu'il se déplaçait à moto, ainsi qu'un homme de 51 ans. Selon le député HDP Faysal Sarıyıldız, « il est certain que cet homme, tué devant sa porte, a été victime d'une rafale tirée au hasard ». Le 3 octobre, le préfet a annoncé que 9 « terroristes » avaient été tués.
Les questions culturelles et linguistiques, rapidement évoquées dans les notes précédentes, sont un enjeu important aux yeux des élus du HDP/BDP. Le député Mehmet Ali Aslan, de Mardin, a présenté une proposition de loi pour le droit à l'enseignement en arabe, qui a été évidemment rejetée. Le document de la proposition de loi, d'ailleurs, avait été présenté en arabe à l'Assemblée. Elle demandait que « dans toutes les institutions de la république de Turquie, y compris à l'Assemblée, l'utilisation des “langues maternelles“ soit autorisée officiellement ». Parmi les arguments présentés, le député Arslan invoquait la force de la composante arabophone dans la population de Turquie, qui se monterait à 10 %. « Les Arabes vivent en Anatolie depuis des milliers d'années, comme les Kurdes, et avec les Turcs et les Tcherkesses, ils sont les fondateurs de notre peuple. Mais tout au long de la république, ils ont été opprimés et leur culture niée, on a tenté de les assimiler et ont perdu le droit de vivre comme ils l'entendent et de développer leur culture. Les Arabes, comme les autres, paient des impôts, font leur service militaire, ils ont aussi le droit de bénéficier d'un enseignement dans leur langue ».
Pourrait-on nier que dans les circonstances actuelles, comme depuis toujours d'ailleurs, la Turquie ait besoin de locuteurs arabes ? Je me suis toujours étonné que dans ce pays, aucune langue des pays voisin (grec, russe, iranien, arabe pour les principales) n'est enseignée à l'école.
Ces questions culturelles semblent passionner les populations de ces régions, actuellement. Voici par exemple une fête organisée par le Centre culturel des Mitanniens https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitanni (MKM) dans le quartier-village de Marinê (Eskihisar, municipalité de Nusaybin) sous le mot d'ordre « Retour au village, retour à notre culture » : danses, musique, représentations théâtrales, « contre toutes les formes d'assimilation et de génocide culturel ». On a distribué aux enfants des brochures destinées à leur apprendre, ou à consolider leur connaissance de la langue.
La violence est disséminée partout certes, mais elle n'est pas constante et n'empêche pas la vie, la volonté de faire vivre ces peuples, ces cultures que nous Européens avons négligé pendant toute la durée de la république de Turquie, et que nous découvrons seulement parce qu'elles sont maintenant victimes de la guerre.
Association de solidarité France-Kurdistan
MESSAGE reçu de l'amie et la députée kurde LEYLA ZANA : Dans un message très chaleureux, Leyla Zana s'adresse aussi à vous. : (.... )"Nous sommes choqués par l... 'attaque terroriste brutale ...
https://www.facebook.com/Association-de-solidarit%C3%A9-France-Kurdistan-212172358906648/?fref=ts