La presse : j'y vois très peu de mentions de l'affaire Sevil Sevimli, sauf un entrefilet dans Taraf, qui mentionne tout de même l'implication du président de l'université de Lyon-II. Aux yeux de la presse, aux yeux de l'opinion publique de gauche, cette affaire est banale et ne mérite guère d'être mentionnée que pour ce fait : la présence de Français à Bursa ; pour l'opinion de droite et « apolitique », il est clair que ces « terroristes » n'ont que ce qu'ils méritent.
L'important, ces jours-ci, est évidemment la fin de la grève de la faim des prisonniers kurdes. Selon la vice-présidente du BDP, Gültan Kisanak, cet événement, et les négociations qui ont précédé, ouvre la porte du dialogue et de la paix. La société turque, l'opinion publique, dit-elle, va cesser de considérer qu'il s'agit seulement d'un problème entre les Kurdes et l'Etat : il s'agit du problème général de la démocratie dans le pays.
Les ouvriers de Renault occupent l'usine de Bursa – en parle-t-on en France ?
Journée de travail. Je ne sors que deux fois de « chez moi ». Descendre de Beyoglu à Karaköy a toujours été un plaisir. C'est la descente vers un quartier industrieux, étrange, fait d'ateliers, d’entrepôts, un arrière-port, avec des choses bizarres et pittoresques comme cette chapelle russe à bulbe, édifiée au sommet d'un bâtiment qui accueillait les pèlerins russes en partance pour Jérusalem.
L'arrivée en bas, par beau temps, est toujours éblouissante. Il est rare, dans les grandes villes actuelles, que les rues débouchent directement sur un quai. La lumière de midi est aveuglante, et l'eau du Bosphore qui se déverse là comme un fleuve puissant est sans cesse en mouvement. Tout comme la foule pressée, qui débarque et embarque pour « l'autre côté ». En écrivant me revient l'odeur du poisson pourri.
Autre sortie le soir, pour quelques minutes pensais-je, pour aller au pain. Je reviens deux heures et demie plus tard. Il est difficile de se dépatouiller de la rue Istiklal.
D'un étage sort une trombe de musique rock. Je m'arrête à toutes les librairies familières : Ada, Robinson Crusoe, Mefisto, Simurg et ses chats, puis Pandora... La richesse des publications m'étonne, sur ce qui était naguère vraiment tabou. Sur les massacres du Dersim en 1938, sur la question arménienne... des disques aussi révèlent cette ouverture, des rayons de musique kurde, arménienne, grecque.
Les maisons de disques sont fascinantes. Le quartier devient un paradis pour l'amateur de vinyle ; je visite sur quelques centaines de mètres trois boutiques consacrées uniquement au disque noir - tasplak, et qui, outre les anciens, proposent même des mètres de disques neufs : nouveaux pressages d'enregistrements anciens, ou enregistrements récents, y compris en classique, directement sur vinyle. Je mets de côté un coffret de l'époque soviétique du Clavier bien tempéré par Richter, et un autre coffret de Brahms par mon trio bien-aimé Istomin-Stern-Rose. Serais-je fou de rapporter cela comme souvenir de ce séjour ? Oh que non, c'est cela aussi, la Turquie d'aujourd'hui !
J'emprunte quelques arrières-rues, qui sont comme les coulisses d'Istiklal, et tombe sans l'avoir cherchée la librairie féministe Amargi, lieu de rendez-vous lors du procès de Pinar Selek en février 2011, librairie qui n'existe plus : un dépôt de boissons l'a remplacée. Tristesse. Me voici rappelé à la réalité, à la raison pour laquelle je suis ici.