Voir également l'album photo sur le palais de justice de Caglayan
Comme j'ai toujours peur d'être en retard, je suis souvent en avance aux rendez-vous. Aussi je suis allé dès aujourd'hui au nouveau palais de justice de Caglayan pour mesurer le temps de trajet nécessaire, et surtout pour considérer les lieux en toute tranquillité. Le nom du quartier, Caglayan, bien qu'excentré, me disait quelque chose. J'ai eu la surprise de revoir le parc Abide-i Hürriyet (« Monument à la Liberté »), d'où partaient les grandes manifestations du 8 mars et Premier-mai en 1997 et 1998. Mais à part le petit parc et le monument, je n'ai rien reconnu. Le quartier est totalement transformé.
En matière de palais de justice la Turquie a voulu rivaliser avec la Belgique, semble-t-il. Le Palais de justice de Bruxelles, un monstre de pierre du XIXe siècle, très kitsch, passe pour être le plus grand bâtiment d'Europe. Mais à l'arrivée à Caglayan, on est face à un autre monstre, froid celui-là, de verre et de béton, en forme de fromage entamé. Un panneau proclame d'ailleurs qu'il s'agit du « plus grand palais de justice d'Europe », mais si c'est vrai, ce serait le plus grand bâtiment d'Europe. Cela m'étonnerait un peu, mais cela nous confirme que la Turquie est en Europe.
J'y ai flâné un bon moment. Une immense esplanade, qui doit être glacée en hiver et un four en été, sépare le palais du reste du quartier, très déstructuré, où l'on trouve encore de petits ateliers, des maisons individuelles, de petits logements collectifs des années 1960 ou 70, et dont on pressent qu'ils ne vont pas rester là longtemps.
Une palissade sépare l'esplanade du quartier, qui est ponctuée d'inscriptions « dilekçe » (requête, supplique) signalant la présence d'un prestataire de service qui peut vous taper les formulaire et rédiger les requêtes. Près des administrations à Istanbul, on voyait autrefois sur les trottoirs de nombreuses petites tables avec machine à écrire, derrière laquelle un homme ou une femme tapaient ces documents dans un langage judiciaire archaïque que le citoyen ordinaire ne maîtrise pas. Maintenant ce sont des boutiques avec ordinateurs, mais à Caglayan vous pourrez voir encore des hommes assis sur un simple tabouret et le panonceau « dilekçe ».
Cela change du bâtiment glauque que nous avons connu l'année dernière, à Besiktas. Ici, à Caglayan, on ne risque pas d'être entassés demain, sauf peut-être à l'intérieur. Nous verrons.
J'ai essayé de faire le tour du bâtiment. Au niveau de la partie entamée du fromage, ce doit être l'entrée solennelle ; il y a plus de vigiles, qui d'ailleurs sont venus m'interdire de prendre des photos (comme devant les casernes!) et m'ont même fait effacer la dernière. Heureusement, je n'avais pas pris l'argentique, ils m’auraient confisqué la pellicule.
Comme sur tous les lieux publics nouveaux, les marchands ambulants, la restauration légère fleurit. Si un jour vous devez poireauter devant ce tribunal, je vous conseille le Cafe-Bahçe (« café-jardin ») installé sur un emplacement d'immeuble démoli. Le jardin est un peu pingre (pensées et cyclamens), mais on y mange de bons köfte, en plein air ou à l'abri. Et... il y a des toilettes !
Trêve de plaisanterie. Je vous livre une information de Radikal : on apprend seulement maintenant, fin novembre, que parmi les personnes emprisonnées en août se trouve un jeune homme, Talet Sanli, qui confectionnait avec des perles des portraits du Che et de Mahir Cayan (leader du parti communiste révolutionnaire THKP-C, tué par des soldats en 1972). Il aimait offrir ces tableaux à ses amis et sa famille. Il a été maintenu en détention parce que ces portraits sont « susceptibles d'être utilisés à des fins de propagande ». En raison de la personnalité des personnages représentés sur les tableaux, il est suspect d'appartenance à un mouvement terroriste. Il est à la prison de type F (haute sécurité) de Kirikkale.