Notre attention est captée par les événements qui se sont succédé à partir de la place de Taksim et se sont étendus à toute la Turquie. Nous suivons avec angoisse et colère les épisodes de répression brutale et massive, les assauts de la police, les nuages de gaz lacrymogènes sur les grandes villes...
Mais pendant ce temps, une autre forme de répression, silencieuse, obstinée et de longue durée, se poursuit. Les médias français ne s'y intéressent guère, et même les médias turcs, vu les circonstances, en parlent peu.
Le fameux procès-fleuve dit « procès du KCK » continue, donc. En partie à Silivri, en partie à Istanbul même.
Vendredi se terminait la 37e audience, qui concernait 205 accusés dont « seulement » 125 comparaissaient. Parmi les accusés figuraient des personnalités connues des lecteurs de susam-sokak, comme l'historienne Büsra Ersanlı, l'éditeur Ragıp Zarakolu et Ayse Berktay.
Ayse Berktay est traductrice. Rappelons que selon le code pénal turc, le traducteur d'une œuvre jugée « subversive » est pénalement responsable dans le cas où l'auteur vit à l'étranger ou s'il est lui-même étranger. Cette disposition fait courir un grand danger aux traducteurs, c'est un point trop peu connu et particulièrement injuste du système répressif turc. Il faut rendre hommage au courage de beaucoup d'entre eux – Ayse en fait partie – qui n'hésitent pas à prendre des risques pour que des écrits produits à l'étranger puissent être diffusés et lus en Turquie.
Mais Ayse n'est pas seulement traductrice. Membre du BDP (Parti pour la paix et la démocratie) elle est une militante pacifiste de premier plan. Avec Müge Sökmen, elle a été à l'origine de la création du Tribunal mondial pour l'Irak en juin 2003, inspiré du tribunal Russel, destiné à enquêter sur les violations des droits humains perpétrés durant la guerre d'Irak en 2003. En 2005 elle a contribué à l'organisation de la dernière session du Tribunal à Istanbul.
Ayse Berktay a été arrêtée en octobre 2011. Elle va rester en prison au moins jusqu'en septembre 2013. Le tribunal l'accuse d' « appartenance à un mouvement illégal » pour avoir effectué de nombreux voyages à l'étranger entre 1998 et 2006, prétendument au profit de l'organisation pro-kurde dite KCK.
Le prix Freedom to Write lui a été attribué en mai 2013 ; en l'absence forcée d'Ayse, le prix a été remis entre les mains du président du PEN-Club turc, Tarık Günersel.
Lisez ou relisez la Lettre de prison d'Ayse Berktay publiée sur susam-sokak en décembre 2011.
Voir la vidéo de la cérémonie et la lecture par Tarık Günersel de la lettre d'Ayse Berktay:
http://www.youtube.com/watch?v=cQJxMMvLw8w