Le blasphème n'existe que du point de vue du croyant. En France, en automne 2012, un débat avait pris naissance autour de la notion de blasphème à propos de la publication par Charlie-Hebdo de caricatures censées représenter Mahomet. J'avais été étonné du ton adopté par certains médias de grande diffusion, qui posaient la question à peu près en ces termes : « Peut-on autoriser le blasphème dans l'expression publique ? ». C'était oublier que la notion de blasphème n'existe pas dans le droit français ; le code pénal, comme la déclaration des droits de l'homme, tout en garantissant la liberté d'expression, prévoient sa limitation pour troubles éventuels à l'ordre public. Le blasphème est une notion subjective inapplicable dans le droit d'une société laïque. Dans la définition de la liberté d'expression et de ses limites (dès la Déclaration de 1789), le point délicat est la notion d' « ordre public ». Bien souvent, c'est le groupe qui s'estime outragé par un prétendu blasphème qui est lui-même fauteur de troubles à l'ordre public lorsqu'il réagit violemment à l' « outrage ». Car ceux qui s'estiment outragés par un « blasphème » sont souvent tout simplement intolérants et ne supportent pas que leur sens du sacré, ainsi que les limites qu'ils définissent à ce sacré, ne soient pas partagés par tout le monde. Toutes les religions sont concernées, toutes ont leurs extrémistes qui ne supportent pas un point de vue différent du leur 1.
Un autre point délicat est la notion de provocation. Au moment de l'affaire des caricatures, le directeur de Charlie-Hebdo avait déclaré que ces dessins « choqueraient ceux qui [allaient] vouloir être choqués en lisant un journal qu’ils ne lisent jamais 2 » ; déclaration hypocrite, car le but de cet hebdomadaire est justement de choquer et d'atteindre des cibles qui ne font pas forcément partie de son lectorat régulier.
La question du respect mutuel est donc au centre de la notion de blasphème. Respect des croyances lorsqu'elles ne se veulent pas hégémoniques, respect des non-croyants, de leurs critiques et de leur éventuelle impertinence.
Bref, le blasphème n'est reconnu comme tel dans le débat public et dans la confrontation politique que lorsqu'un groupe religieux est hégémonique et estime que son point de vue doit prévaloir, que les valeurs qu'il tient pour sacrées doivent être tenues pour telles non seulement par les croyants mais par l'ensemble de la société ; et que dans le cas contraire les contrevenants doivent être sanctionnés, non pour injure publique ou mise en danger de l'ordre public, mais spécifiquement pour blasphème. Pour de tels groupes, le droit canon et l'autorité religieuse doivent se substituer à l'autorité publique, ou se confondre avec elle.
Une telle attitude peut être favorisée par le contexte politique. C'est le cas de la Turquie de l'époque du Refahyol, alors qu'un parti « islamiste » mène le gouvernement et cherche à imposer des valeurs proprement religieuses dans le champ de la vie publique. Dans le cas de cette période brève (une année), le code pénal n'a pas été modifié ; la notion de blasphème (küfür) en est absente et la justice n'a apparemment pas d'outil pour punir ce qui serait ressenti comme offense par le public des musulmans croyants. Toutefois, les articles 3, 122 et 312 du code pénal pouvaient être utilisés 3. Les articles 3 et 122 interdisent la discrimination envers une personne « en raison de sa race, sa religion, ses croyances, sa nationalité, la couleur de sa peau, son genre, ses opinions politiques, philosophiques ou autres, son origine nationale [millî] 4ou sociale, sa naissance, ou toute autre raison économique ou sociale ». L'article 312 interdisait toute provocation à la haine en raison de l'appartenance à une classe sociale 5, à une religion ou une secte (mezhep), en raison de l'origine régionale ; il interdit également toute discrimination, acte ou propos qui viserait à briser la paix sociale en déconsidérant les valeurs religieuses d'une partie de la population.
Il est facile d'interpréter ces articles, d'où le mot « blasphème » est absent, pour charger quelqu'un de « discrimination » et de « haine raciale » s'il tient des propos jugés offensants pour les musulmans. C'est ce qui arrive au compositeur et pianiste Fazıl Say, dont le procès doit avoir lieu le 18 février 2013. Ainsi, on peut en réalité punir le prétendu blasphème en Turquie, et la loi, en l'occurrence, sert à « protéger » l'immense majorité des musulmans contre les non-musulmans (1%) et les incroyants !
Mais le problème se situe également en dehors du cadre de la loi, en dehors du droit. L'essentiel est que, un gouvernement inspiré par une religion étant au pouvoir, les activistes de ce courant politico-religieux se sentent en force, se sentent soutenus et légitimés par le pouvoir, à tort ou à raison d'ailleurs. Par le caractère répétitif de certains discours, certaines déclarations, même s'il ne s'agit que de déclarations d'intention et de propos circonstanciels, électoraux et démagogiques, un climat peut s'installer qui donnerait une impression d'impunité aux activistes, pour réagir à ce qu'ils considéreraient comme un blasphème.
En Turquie le phénomène de « prise au mot du discours » existe déjà, et depuis longtemps, en faveur des extrémistes de droite, dont l'idéologie nationaliste est très proche de l'idéologie officielle et de ce qui est enseigné à l'école. Ils se sentent en confiance pour agir au-delà de la légalité, par l'intimidation, la violence et éventuellement le meurtre (voir l'assassinat de Hrant Dink en 2007) ; ils tiennent le haut du pavé sans vraiment être au pouvoir. Et le même phénomène a existé dans la Turquie du gouvernement Refahyol au profit de groupes islamistes, confréries ou partis, ou simplement de groupes informels ou d'individus qui prennent au mot le discours du pouvoir ou des individus au pouvoir.
Aussi le fait que je vais évoquer n'est pas différent, par sa nature, de meurtres commis par la mouvance d'extrême-droite. Il s'est produit durant la période Refahyol, ce qui n'indique pas qu'il a eu lieu à cause de la présence d'islamistes au gouvernement, mais je pense qu'il procède du phénomène de « prise au mot » d'un discours latent 6.
Un climat d'inquiétude
La période 1996-1997 est traversée par de graves inquiétudes. L'islam politique fait peur, à juste titre : les informations provenant d'Algérie, qui vit sa « décennie noire », sont d'autant plus inquiétantes que les médias islamistes en Turquie se placent du côté des massacreurs algériens ; le quotidien Türkiye, pourtant plus ultra-nationaliste qu'islamiste, se signale par des chroniques régulières du bilieux Necati Özfatura justifiant la violence islamiste algérienne par l' « oppression » que subiraient les musulmans.
En Turquie, le massacre de Marache (plus de cent personnes alévies tuées chez elles en décembre 1978) n'est pas oublié; surtout, l'incendie criminel de Sivas (2 juillet 1993) et les images de la foule vociférante des islamistes devant l'hôtel en flamme où meurent 37 intellectuels alévis sont dans toutes les mémoires.
Aussi, lorsque le Refahyol parvient au pouvoir, on sait de quoi les activistes islamistes sont capables, en Turquie et ailleurs ; on sait qu'un certain climat politique, qu'un certain type de discours peuvent favoriser l'expression de la haine et le passage à l'acte. Une atmosphère d'intimidation peut s'installer, favorisée par la délation, attitude largement pratiquée en Turquie puisqu'elle a été encouragée par le pouvoir kémaliste lui-même. Provocateurs, assassins, fous violents, se sentent couverts parce qu'ils ne font souvent que mettre en œuvre des propos proférés par des personnes en place.
L'inquiétude a donc redoublé à partir de juin 1996, lorsque la coalition Refahyol arrive au gouvernement. La presse laïciste guette les signes d'islamisation de la vie publique, perçus comme autant de provocations : le 27 septembre, Yeni Yüzyıl publie un reportage sur la municipalité islamiste de Sincan sous le titre en une « Ça pue la charia à Sincan ». Le 5 octobre, Milliyet publie une enquête sur la confrérie des Aczmendi, aussi inquiétante que folklorique, dont les tenants barbus et enturbannés se déplacent en bandes, vêtus de djellabas et munis de bâtons. Le 8 octobre, c'est dans Cumhuriyet qu'on peut voir en une le maire islamiste d'Ankara, Melih Gökçek, présentant le nouveau symbole de sa ville, représentant une mosquée stylisée, qui remplacera le soleil hittite.
Un lynchage à effet différé : Sevil Akdogan, professeure de philosophie
Et le 11 octobre, la presse quotidienne fait état d'un événement véritablement inquiétant, qui à mon sens n'a même pas été suffisamment mis en valeur, car il s'agit d'une opération d'agitation organisée par le quotidien islamiste Akit, visant à « mettre la pression » sur une enseignante, et qui aurait pu aboutir à un lynchage – et s'est de toute façon mal terminée.
Selon le récit des quotidiens Sabah et Yeni Yüzyıl de ce jour 7, Akit avait fait état de « blasphèmes » qu'auraient commis une professeure de philosophie enseignant dans un cours religieux privé d'Üsküdar (« lycée pour imams et prédicateurs » ou IHL). Selon Akit, cité par Sabah, l'enseignante, pour illustrer l'idée d'omniprésence de Dieu, aurait demandé aux élèves : « En conséquence, maintenant, sous mes pieds, Dieu est-il présent ? ». Elle aurait alors piétiné le sol (comme on peut le faire d'instinct pour attirer l'attention sur quelque chose qui se trouve dans le sol) en disant : « Donc à présent, je suis en train de fouler au pied votre Dieu ». Cette « insolence », poursuivait Akit, a révolté les élèves, qui ont protesté auprès de l’enseignante puis se sont rendus dans le bureau du directeur. Là, d'autres auraient renchéri en prétendant que l'enseignante aurait piétiné le Coran et l'aurait jeté à la face des élèves.
Cette enseignante se nommait Sevil Akdogan. Elle avait fait diverses vacations dans des établissement privés, notamment à Beykoz, fief islamiste sur le Bosphore, où, toujours selon Akit, elle aurait forcé une élève à retirer son foulard de tête. Sérieusement menacée après cette leçon de philosophie contestée, elle s'est réfugiée auprès du directeur qui l'a fait sortir discrètement.
Akit ne s'en tient pas au récit de l'événement – à sa version du récit. Le quotidien appelle à un rassemblement, le 10 octobre, devant l'école. Selon Sabah, une centaine de personnes, « des barbus vêtus de chalvar et de turbans, et des femmes voilées », se sont rassemblées pour manifester « contre la laïcité et la république ». Une femme voilée de noir a brandi un drapeau vert et a exigé des excuses envers les musulmans.
Ce jour-là, la presse était bien présente : sur la photographie publiée par Yeni Yüzyıl, on compte au moins quatre cameramen. Une quinzaine de policiers seulement étaient là, pour une manifestation de cent personnes : pour les sit-in des mères de disparus à Galatasaray, à la même époque, les policiers sont souvent plus nombreux que les manifestantes, et portent leurs équipements anti-émeute : ce n'est pas le cas à Üsküdar. D'ailleurs, le chef de la sécurité du quartier laisse passer la manifestation, et ne fait procéder à aucune interpellation.
Les journalistes d'Akit n'ont pas fait leur travail de journalisme. Ils n'ont pas interrogé le directeur ni l'intéressée elle-même, et ont écrit sur la foi du témoignage des seuls élèves et probablement de leurs parents. Selon le directeur, Akit avait largement exagéré ses informations. « Sevil Akdogan n'a absolument pas jeté le coran à terre et n'a pas blasphémé. Elle a seulement invité les élèves à discuter de religion. » Il souligne que la professeure était une personne instable et avoue qu'il ne savait pas qu'elle était l'ex-épouse de l'écrivain Onat Kutlar, tué lors d'un attentat (qu'on croyait d'origine islamiste à l'époque) en décembre 1994.
Le laïciste Sabah, sans doute pour inquiéter ses lecteurs, et pour se conformer aux stéréotypes ambiants, a lui aussi fortement gauchi la description de la manifestation islamiste. Sur les photographies, on compte en réalité très peu de barbus, et je ne distingue aucun personnage enturbanné. A milieu du groupe, on remarque une petite dizaine de femmes entièrement voilées de noir, dont l'une effectivement brandit un drapeau vert. Ceci mis à part, le groupe de manifestants est composé de gens ordinaires ; notamment, les premiers rangs sont occupés par des jeunes adultes dont quelques-uns seulement portent une barbe. Certains crient, lèvent le poing et semblent en colère : les meneurs peut-être. Surtout, on remarque la présence de lycéens, très jeunes et reconnaissables à leur tenue : ils portent un blazer et pour certains la cravate ; ils ont l'air de bien s'amuser. Le milieu du groupe, mieux visible sur la photo de Yeni Yüzyıl, est composé de femmes, presque toutes la tête couverte ; un second groupe d'hommes jeunes ferme la marche, dont très peu de barbus.
Quand elle couvre un événement « islamiste », la presse laïciste choisit soigneusement ses cibles photographiques ; pour souligner le danger islamiste, il faut que les personnes représentées correspondent aux stéréotypes en vigueur : les femmes doivent être en noir, les hommes barbus et la tête couverte d'un turban. De ce point de vue, la page de Sabah ne répond pas aux normes. Mais l'image est inquiétante, car cette foule qui se déverse dans la rue forme la base réelle de l'islam politique : ce sont des jeunes, voire très jeunes, aisément manipulables par des aînés qu'on peut distinguer sur le cliché. Les femmes en noir et les hommes enturbannés sont là pour le folklore ; les autres femmes, en simple foulard de tête, ont probablement été mobilisées dans le cadre d'une confrérie ou d'un cours de coran.
A l'inverse, la photographie proposée par Yeni Yüzyıl représente un moment ultérieur de la manifestation et le cliché est trompeur. Le photographe a attendu que la première moitié du cortège soit passée ; les femmes vêtues de noir, à peine visibles sur le cliché de Sabah, sont ici au premier plan ; elles sont en train de passer le barrage des policiers, qui n'ont pas l'air très autoritaires, et forment avec eux une masse noire qui emplit la moitié du champ photographique. Une partie des jeunes est déjà derrière l'objectif, une autre à l'arrière-plan, presque invisible. Il s'agit de jeunes de vingt à trente ans, au regard déterminé : sans doute des militants. Au centre du cliché, la bannière verte est bien visible. La présence de photo-reporters, à l'arrière-plan à gauche, atteste du caractère annoncé de l'événement.
Comme le dit l'article, la manifestation s'est terminée sans incident : après une prière commune, les manifestants se sont dispersés sans que la police ne procède à des interpellations.
Un non-événement ? Certainement pas. On ne sait avec quelle fréquence ce type d'intimidation a eu lieu durant ces années. Pour l'intéressé(e), il s'agit d'une chose effrayante. Même si la violence physique n'éclate pas, la violence psychologique est très forte, surtout quand on connaît le traumatisme subi par Sevil Akdogan, l'assassinat de son ex-mari, moins de deux ans plus tôt.
Elle avait peut-être des difficultés professionnelles. Selon son directeur, elle n'était dans l'établissement que depuis quelques jours, ayant effectué des vacations ou remplacements très courts ici et là.
A peu près un an plus tard, le 17 décembre 1997, on lisait ceci dans Sabah, sous la plume de Can Ataklı :
« Le journaliste, chaque jour, est informé de centaines de nouvelles ; certaines sont prises en compte, un petit nombre seulement est publié. La durée de vie de la plupart de ces faits est d'un seul jour. Mais les personnes dont il est question ? Sauf exception, nous ne savons pas ce qu'elles deviennent. On publie, un nom apparaît dans la presse, puis on oublie. »
« Hier en lisant les journaux, j'ai senti mes poils se hérisser. A Bozcaada 8, une enseignante s'est suicidée ; elle s'appelait Sevil Akdogan. Elle avait été agressée par un groupe d'islamistes alors qu'elle était professeure de philosophie au lycée imam-hatip d'Üsküdar. Les veli [élèves responsables de classes] l'avaient dénoncée, car elle avait prétendument insulté le coran. Certains voulaient la lyncher. [Dans Sabah] nous avions accordé une bonne place à cette nouvelle. »
« Plus tard, Sevil avait été mutée au lycée de filles de Kandilli, puis elle avait été remerciée... Durant tout ce temps, les fanatiques avaient continué de la harceler et de la menacer. C'est pourquoi elle avait quitté Istanbul et s'était établie à Bozcaada, avant de mettre fin à ses jours. »
« Et voilà : le métier de journaliste est parfois déprimant. Pour nous, une petite nouvelle, pour d'autres une question de vie et de mort. »
« Que Dieu accueille Sevil Akdogan en son sein. Espérons qu'elle a trouvé la paix. »
Cliquez sur ce lien pour lire l'étude portant sur l'assassinat d'Oguz Atak, barman "excentrique" et la conclusion générale.
Notes :
1Les catholiques aussi, il ne faut pas l'oublier : dans la nuit du 22 au 23 octobre 1988, des intégristes ont incendié le cinéma Saint-Michel à Paris, qui projetait La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese. Il y a eu treize blessés dont quatre graves. Les auteurs de l'attentat n'ont été condamnés qu'à des peines de prison avec sursis. Voir:
http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS1323_19900315/OBS1323_19900315_110.pdf
2Libération, 19 septembre 2012.
3L'article 312 correspond à l'article 216 du nouveau code institué en 2004.
4Le terme que je traduis ainsi est millî qui désigne en fait non pas la nationalité au sens de citoyenneté, mais la nation au sens ottoman du terme (millet), c'est-à-dire l'appartenance religieuse à l'islam sunnite, à l'orthodoxie, au catholicisme grégorien des Arméniens, ou au judaïsme (l'islam alévi n'est pas reconnu comme millet).
5Ce qui fait tomber tous les mouvements d'obédience marxiste sous le coup de cet article. C'est l'un des points qui différencient cet article de l'article R625-7 du code pénal français, qui réprime la "provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence".
6Cette notion de discours latent est mise en avant par Jean-Pierre Faye dans Langages totalitaires (1972), ouvrage capital sur la diffusion du discours totalitaire dans l'Allemagne de Weimar.
7Tuncer Köseoglu, « Imam Hatip'te seriatçı gösterisi », Sabah, 11 octobre 1996 ; l'article de Yeni Yüzyıl du même jour est presque identique mais signé du sigle de l'agence SHA sous le titre « Üsküdar'da seriat gösterisi ».
8Ou Tenedos, une des deux îles turques de la mer Egée, au débouché du détroit des Dardanelles. Je n'ai pas trouvé beaucoup de références à Sevil Akdogan sur le Net. Voir toutefois dans le livre de Hüseyin Batuhan, Sevgili Ölülerim [Chers disparus], Istanbul, Kitap Yayınları, 2002.