La moustache, attribut de l’extrême-droite ? Sur cette photo datée du 29 octobre 1995, prise à l'issue de l’élection du bureau de la section de Sarıyer (sur le Bosphore, au nord d’Istanbul) du parti MHP (extrême droite ultra-nationaliste), plusieurs éléments de rituels apparaissent ensemble. On peut les considérer comme constituants d’une symbolique, car ils ne sont pas ensemble par hasard :
- Symboles nationaux : le drapeau du MHP, rouge comme le drapeau turc, avec ses trois croissants qui renvoient au symbole de l'empire ottoman ; le portrait d’Atatürk. Les deux périodes historiques sont jointes: l'empire pour la grandeur du passé, et la république kémaliste pour son caractère "turc", débarrassée des Arméniens et Grecs, des non musulmans, considérés comme des étrangers.
- Le rituel commun à toutes les assemblées : la çelenk, une couronne fleurie, qui ressemble aux couronnes mortuaires françaises, mais qui en Turquie est l’objet par lequel on concrétise sa sympathie, sa déférence, son hommage au cours des cérémonies publiques. La çelenk est assortie d’une bande de tissu indiquant la personne ou l’institution qui rend hommage. Elle rend visible et lisible les appuis dont dispose un personnage ou une institution, elle concrétise une partie du réseau social. Plus les çelenk sont nombreux, plus le personnage ou l’institution est en faveur, le record étant tenu comme il se doit par Atatürk. Les autres éléments visibles du décorum sont la tribune et la chaire ;
- mais le plus frappant et le plus propre au MHP, c’est la gestuelle et les expressions : l’attitude solennelle et un peu raide du candidat qui vient d’être élu (sur une liste unique), les mains posées à plat sur la chaire ; il regarde le fond de la salle, l’horizon, l’avenir de la Turquie ; à sa droite, un personnage semble le surveiller ou lui souffler ses paroles ; l’élément le plus fort, peut-être, de la photo est le regard de trois des personnages, un regard dur, qui fixe les assistants et, pour l’un, le photographe. Sourcils froncés, mimiques de truands menaçants ;
- enfin, recherche d’uniformité : costumes identiques, moustaches : les cadres du MHP forment une armée ; ils ressemblent à des « gardiens de village » (korucu) endimanchés.
(Photo extraite de Türkiye, 29 octobre 1995)
Lire par ailleurs l'article de Benoît Fliche (http://terrain.revues.org/1133) sur la pilosité faciale dont voici la référence de l'édition papier :
Fliche B., 2000, « Quand cela tient à un cheveu. Pilosité et identité chez les Turcs de Strasbourg », Terrain, n° 35, pp. 155-165.