L’association Houshamadyan, créée à Berlin en 2010, s’est donnée pour but la reconstruction et la préservation de la mémoire arménienne ottomane, avec pour principal moyen le site houshamadyan.org. L'association Houshamadyan est présidée par Elke Hartmann, et le chef de projet pour le site internet est Vahé Tachjian. Elle est financée principalement par des dons de particuliers.
Les objectifs de Houshamadyan
Tous les types de production culturelle intéressent l’association : histoire, histoire du quotidien, histoire locale et micro-histoire, linguistique (étude des dialectes), musique, littérature, objets matériels, etc. Aucun support n’est négligé : documents écrits (livres, périodiques, documents familiaux, correspondances, notes non publiées), documents sonores, iconographiques (photographies, films, images) ; Houshamadyan se propose également de procéder à des interviewes pour collecter des archives orales.
Ces matériaux feront l’objet de publications sur le site. Et, dans une phase ultérieure, l’association projette l'organisation de conférences, colloques et expositions, et prévoit également une activité éditoriale. Le site houshamadyan.org est ouvert à tous ceux qui désirent commenter les pages existantes, ou publier eux-mêmes des documents en leur possession.
Le texte de présentation du site précise bien que le but n’est pas de revendiquer un « retour » des Arméniens en Anatolie, pour déloger les Turcs ou les Kurdes établis dans leurs villages ! Bien au contraire, la mémoire de la région est considérée comme un tout, et les Arméniens ne sont pas seuls concernés : il existe un héritage local indivisible, construit par la coexistence de populations variées. Aussi tous ceux qui accordent de l’importance à la reconstruction de cet héritage sont bienvenus, et Houshamadyan estime que ce travail sera bien plus riche en intégrant les contributions de ceux qui, aujourd’hui, vivent dans ces régions. D'ailleurs, le site sera accessible non seulement en anglais et en arménien, mais aussi en turc.
Le défi relevé par l’association est la reconstitution de la mémoire d’environ trois mille localités où vivaient des Arméniens. Il est probable que le volume de documentation sera très inégal selon les lieux, mais Houshamadyan compte sur le long terme.
Un problème historiographique
Il ne s'agit pas d'une démarche nostalgique ; l'entreprise concerne la recherche scientifique. En effet, les chercheurs qui travaillent sur le domaine ottoman doivent faire face à une sérieuse difficulté, qui est la pluralité des langues utilisées par les sujets de l'empire : les documents disponibles peuvent être en turc ottoman, en arabe, en arménien, en grec, en bulgare, en latino, etc. Sur un sujet de recherche donné, les chercheurs sont obligés de laisser de côté, voire d'ignorer une partie des documents. Aussi, les sources en arménien sont souvent le « chaînon manquant » dans les études ottomanes. Et les études portant sur les Arméniens sont souvent basées sur des documents en turc ottoman, à tel point qu’il est devenu habituel et même admis, même dans un cadre scientifique, d’ignorer les sources en langue arménienne. La vie des Arméniens est vue, la plupart du temps, à travers les archives officielles de l’État ottoman, ce qui n’est pas scientifiquement acceptable. Or le matériau documentaire en arménien, très riche, permet de plonger dans l’univers ottoman par un autre biais. Ces sources doivent être considérées comme nécessaires pour les études ottomanes, notamment celles qui concernent la vie provinciale. L’un des buts du site houshamadyan.org est donc de rendre ces sources accessibles à ceux qui ne lisent pas l’arménien et d’enrichir les études ottomanes.
Il faut reconnaître l'existence d'un autre problème historiographique : c’est la tendance, du côté arménien, à approcher le domaine ottoman de manière très sélective. Cette attitude est due, évidemment, à la mémoire du génocide, qui pèse sur les études, et qui a conduit à une lecture spécifique de l’histoire, dans laquelle la division entre Turcs et Arméniens est considérée, de part et d’autre, comme radicale, voire sacralisée. Ce phénomène est persistant. Ainsi les études privilégient les événements catastrophiques comme les massacres de 1895-1896 ou le massacre d'Adana en 1909. Ou, inversement, les événements héroïques de résistance au gouvernement ottoman.
Il manque des études sur la vie locale et provinciale, la vie quotidienne arméniennes, dans le contexte social ottoman, qui fourniraient de nouvelles clés de compréhension de tous les autres événements. En d’autres termes, même dans le champ des études arméniennes, l’effort n’a pas porté suffisamment sur l’utilisation de ce genre de sources pour reconstruire la mémoire de la vie arménienne ottomane. Les études arméniennes et les études ottomanes, en outre, s’ignorent mutuellement.
Aussi, Houshamadyan voudrait être un moyen de restituer aux Arméniens la mémoire ottomane, qui est aussi la leur. Cette mémoire a souffert de la catastrophe, de la réécriture de l’histoire, du processus de reconstruction des mémoires.
Sur le nom de l'association
« Houshamadyan » est un mot complexe formé avec housh (la mémoire), et madyan (livre, registre, manuscrit). Le terme madyan a été préféré à kirk (le livre) car, postérieurement à la catastrophe, les auteurs de mémoires et de récits ont utilisé ce terme houshamadyan, qui a peut-être même été créé à cette époque. L’usage de madyan, dans l’intitulé de ces ouvrages post-catastrophiques, semble inférer le sens d’une époque définitivement révolue. Leurs auteurs, nés ottomans, ont rejoint la diaspora, conscients de l’impossibilité d’un retour au pays. Ils ont tenté de restaurer le passé proprement arménien de leur lieu d’origine. De la sorte, chacun de ces livres est une tentative de reconstruction d’un passé révolu, animé par la conscience de l’incapacité des générations postérieures à cette tâche. Ils forment, en même temps qu’un ensemble de témoignages, le legs d’un passé, répondant au besoin d’immortaliser un village, une ville, un autre temps. Outre le mot houshamadyan, ces livres utilisent les termes très expressifs de houshagotogh (monument commémoratif) ou houshartsan (monument) ; chacune de ces publications devient ainsi la cérémonie commémorative d’une localité morte ou d’un temps révolu.
Certes, ces récits pèchent souvent par idéalisation des lieux, perçus et présentés comme autant de paradis perdus, uniques, inégalés, ou, au contraire, par l’emploi d’une prose endeuillée et larmoyante qui rendent leur lecture difficile. En outre, ils sont influencés par les concepts nationalistes arméniens de la période qui a immédiatement suivi la catastrophe. Mais ces livres-monuments sont des conservatoires des temps passés, de leurs coutumes, des architectures, de la cuisine, des chants, des dialectes aussi bien que des héros. Ils existent par centaines, et sont autant de sources pour la reconstruction de la mémoire des Arméniens ottomans, pour servir à la microhistoire des villes et villages dans leur cadre général ottoman.
Il existe par ailleurs toute une littérature de journaux et périodiques, surtout au XIXe siècle, publiés notamment à Istanbul, Tbilissi, Venise, Vienne, et enfin tout un corpus de monographies, récits de voyages et mémoires qui offrent une documentation encore plus riche pour alimenter houshamadyan.org.
Le nom du site et de l’association reflète la volonté des responsables de continuer ce travail : il s'agit de reconstituer un legs extrêmement riche mais délaissé ou oublié.
Portrait de Hagop Agha Urfalian, notable arménien. Collection Megerdith Bouldoukian. Document extrait du site houshamadyan.org
Les thèmes abordés
Le site sera centré sur le passé ottoman des localités dont la population était arménienne, depuis le début jusqu’en 1915. En d’autres termes, l’histoire du génocide, quoique indissolublement liée à l’histoire des Arméniens ottomans, ne figurera pas parmi les thèmes abordés. Ultérieurement, les responsables de Houshamadyan prévoient d’ajouter un nouveau thème, la description de leur village par les survivants du génocide.
Le contenu du site est subdivisé ainsi:
Etudes locales – Structures socio-économiques – Vie culturelle (presse, maisons d'édition, troupes de théâtre, chœurs, orchestres) – Economie (commerces, agriculture, industrie, marchés, syndicats) – Vie religieuse (établissements religieux, églises, pèlerinages, fêtes, cérémonies) – Vie locale (cuisine, coutumes vestimentaires, artisanat, jeux et jouets, médecine populaire, chants et danses, architecture, croyances, langue et dialectes) – Traditions orales (proverbes et dictons, contes et légendes, troubadours et trouvères) – Littérature – Vie politique (organisations, partis, fedayis, constitution ottomane) – Education et sports (établissements, associations).
Enfin, le site met à disposition des cartes.