L'avocat Mahmut Alınak, arrêté en décembre, a été libéré ce matin.
Bianet publie ses premières déclarations
Ekin Karaca, bianet.org (ekin@bianet.org)
Istanbul, 19 juillet 2012
Mahmut Alınak. Photo publiée par bianet.org
L'avocat et ancien député Mahmut Alınak avait été arrêté le 8 décembre 2011 dans le cadre des opérations de police contre le KCK (Kürdistan Topluluklar Birliği). Il a quitté ce matin 19 juillet la prison de Kandıra, près d'Izmit, dans l'ouest de la Turquie, où il était incarcéré. Kandıra est une « prison de type F », un quartier de haute sécurité. Mahmut Alınak, après huit mois de détention, a rappelé que des milliers de personnes sont enfermés dans de tels quartiers.
« Je me sens comme si j'étais revenu à Istanbul en laissant derrière moi des milliers de personnes dans un tombeau : au fond de moi je ressens une terrible amertume. »
Hier s'est tenue à Istanbul la troisième audience du second procès dit « KCK », où comparaissaient cinquante personnes dont 37 en détention, en majorité des avocats. Outre Mahmut Alınak, Yaşar Kaya, Mehmet Nuri Deniz, Veysel Vesek, Cemo Tüysüz, Osman Çelik, Aydın Oruç, Hüseyin Çalışçı et Haksan Sadak ont été libérés. Il leur est interdit de quitter la Turquie et doivent se présenter chaque semaine à la gendarmerie.
Après avoir passé huit mois dans une cité pénitentiaire de type F, Mahmut Alınak a déclaré que le fait que des milliers de personnes vivent dans ces prisons comme en un tombeau est une vérité très amère pour le pays ; selon lui, il n'est pas possible d'être heureux « à l'extérieur » lorsqu'on sait que des êtres humains vivent dans de telles conditions, dans des lieux où l'on détruit les hommes, où l'on en fait des êtres rampants.
« Aucun mot ne peut décrire la prison de type F. Vous pouvez dire que c'est une morgue, un cercueil ou un tombeau, mais ces mots ont perdu leur force. C'est quasiment un espace extra-terrestre, un non-lieu, un endroit coupé du monde extérieur, coupé de tout, où il faut cependant essayer de vivre. L'isolement est tel qu'on est à l'affût du bourdonnement d'une mouche ou de la rumeur lointaine d'une voiture. »
« Un jour, la présence d'une sauterelle a donné un air de fête à la cellule. Cela a été un des plus beaux jours : c'est que nous vivons entre des murs de neuf mètres, et voir un tout petit bout de ciel est un bonheur. »
« Et comme si l'isolement ne suffisait pas, chaque fois que l'on quitte nos cellules alignées côte à côte comme dans une morgue, on est fouillé, on est encore fouillé en arrivant au parloir où nous attend notre avocat, puis en en sortant, enfin en regagnant notre cellule. »
« Les gardiens ne font pas l'appel par nos noms et prénoms. J'ai soixante ans, et le gardien dont je pourrais être le grand-père m'appelait sans respect 'Mahmut'. »
« A Kandıra l'humanité des prisonniers est piétinée, même les mouches sont mieux considérées que les hommes incarcérés. La prison de type F est un pays à part qui ne connait pas la démocratie. En Turquie les libertés sont virtuelles. Quand on est face-à-face avec l'Etat, on ne bénéficie plus de la moindre poussière de démocratie. »
(...)
« L'acte d'accusation est un acte de diffamation. Il est entièrement basé sur des calomnies proférées par un procureur, et tout cela fonctionne avec nos impôts. (…) Je suis l'auteur d'un roman qui a trait aux luttes de la société civile, Tarihin Çarmıhında Güneş Ülkesi. Je désirais qu'Öcalan [l'ancien dirigeant du PKK détenu depuis 1999 - ndt] le lise, car c'est un travail de dix années et c'est à mes yeux une sorte de manifeste. Eh bien, le simple fait que j'aie envoyé ce roman à Öcalan a été considéré comme une 'preuve' d'appartenance à un mouvement illégal. Ont également été considérées comme de telles 'preuves' : des notes que j'avais prises dans le Nutuk [célèbre discours d'Atatürk - ndt], des notes prises au cours d'un débat télévisé, la couverture d'un cahier, l'enregistrement d'une conversation avec un journaliste du quotidien Birgün, et même des requêtes formulées à l'occasion d'une procédure d'exécution. On m'a gardé huit mois en prison sur la base d'allégations ne reposant absolument sur rien. »
Biographie de Mahmut Alınak d'après Vikipedi :
Né en 1952 dans le département de Kars (est de la Turquie), études à Kars puis à la faculté de droit d'Ankara.
Avocat, député de Kars lors des élections générales de 1987, élu SHP (gauche). Puis élu député de Sırnak lors des élections anticipées de 1991 dans le cadre d'une coalition HEP-SHP.
Lorsque l'immunité parlementaire des députés des partis kurdes est levée en 1994, il est arrêté en même temps qu'Ahmet Türk, Sırrı Sakık, et Leyla Zana. En prison, il écrit deux livres, dont Şiro’nun Ateşi, qui, bien qu'interdit par la Cour de Sûreté de l'Etat, remporte un grand succès.
Mahmut Alınak a fréquemment écrit dans le quotidien Gündem et dans le supplément hebdomadaire de Radikal. Le 5 janvier 2007, il écrit une lettre en kurde au premier ministre Erdogan, un acte interdit par la loi sur les partis politiques. Il est condamné à six mois de prison. Cette lettre a servi de prétexte à l'interdiction du Demokratik Toplum Partisi (DTP) au motif de « sécessionnisme ». La peine de prison a été levée en 2010, mais Alınak a été arrêté à nouveau en décembre 2011.