Sur les photographies de presse antérieures aux années 1990, les policiers qui interviennent contre des manifestants ont une apparence assez inoffensive, si on les compare avec leur aspect actuel. Ils ne sont pas revêtus de la tête aux pieds d'une épaisse carapace de plastique, ne portent pas de casque à visière ni de bouclier de plexiglas. Souvent, ils apparaissent en simple casquette et sanglés dans un uniforme ajusté qui ne devait pas être commode pour les affrontements. Ils sont armés d'une matraque ordinaire. Les interventions plus « musclées » sont laissées à la gendarmerie, c'est-à-dire à l'armée.
En 1965 une force dite de « police sociale » (Toplum Polisi) a été créée pour réprimer les mouvements sociaux, spécialement à Istanbul, Ankara, Adana, Izmir et Zonguldak, qui était alors une région minière très syndicalisée.
Ces unités ont été remplacées par les « Forces d'intervention légère » (Çevik Kuvvet) en 1982, alors que la société commençait à se relever de la violence du coup d'Etat de 1980 et que reprenaient les mouvements de contestation.
Mais c'est en juillet 1996 que le public a découvert le « nouveau visage » de la police. Ce sont les « Robocop » que nous connaissons aujourd'hui. Voici comment le quotidien Hürriyet décrit leur équipement: le casque est pare-balle et peut être équipé de téléphonie. L'armure de plastique est ininflammable et pare-balles ; un crampon, dans le dos, permet l'évacuation rapide par hélicoptère. Coudes et genoux sont protégés des chocs les plus violents. Les gants sont spécialement étudiés pour permettre l'usage de toutes les armes. Enfin la matraque est un « BPPL », « bâton de police à poignée latérale », en réalité un tonfa, arme d'origine japonaise qui peut être extrêmement dangereuse. En Turquie, selon Hürriyet, il est doublé d'acier à son extrémité.
"Le nouveau visage de la police". Photo publiée par Hürriyet, 20 juillet 1996
En juillet 1996, d'importantes manifestations ont lieu dans le quartier alévi de Gaziosmanpasa (dit familièrement "Gazi"). Un an et demi après les événements de mars 1995, où 17 personnes ont été tuées par la police, le quartier est sous tension permanente, à la croisée des revendications alévies et kurdes. La population soutient les prisonniers de Bayrampasa, en grève de la faim depuis près de deux mois. Le 17, des affrontements éclatent, des barricades sont dressées.
La répression est menée par les unités des Çevik Kuvvet et la gendarmerie. Les forces de l'ordre disposent de blindés, et l'on voit apparaître les fameux akrep (ce mot signifie « scorpion »), les blindés légers qui peuvent servir d'auto-mitrailleuse ou pour les jets de gaz, familiers aux habitants du sud-est et, depuis l'été 2013, aux Stambouliotes.
Il est significatif que ce quartier, alévi et très à gauche, ait servi de banc d'essai pour les nouveaux « Robocop », leurs tenues et leurs équipements. Les forces de police ont détruit facilement les barricades, investi les cemevi où les activistes s'étaient réfugiés, et procédé à des dizaines d'arrestations.
En page trois, le 20 juillet, Hürriyet annonce triomphalement en manchette: « L'opération Robocop n'a duré que 17 minutes ». La photographie présentant les nouveaux équipements est légendée « Le nouveau visage de la police » et en trois sous-titres lapidaires, la rédaction résume l'événement et exprime son point de vue: « La police est applaudie » (lorsqu'un drapeau est planté par un Robocop sur le toit de la cemevi) ; « L'armée était prête » ; « Et tout a été nettoyé », signalant seulement que la foule, pourtant censée applaudir la police, a crié lorsqu'on emmenait les prisonniers : « Nos enfants, on ne les reverra jamais vivants ».
Les manifestants de Gazi renversent un minibus pour dresser une barricade. Photo Hürriyet, 20 juillet 1996.