Version:1.0 StartHTML:0000000188 EndHTML:0000008460 StartFragment:0000002387 EndFragment:0000008424 SourceURL:file:///Users/etiennecopeaux/Desktop/En%20hommage%20%88%20Semih%20Vaner
Grâce à Cengiz Çagla et Haldun Gülalp, un hommage collectif à Semih Vaner vient de paraître aux éditions Metis (Istanbul) : Avrupa Birligi Demokrasi ve Laiklik [L’Union européenne, la démocratie et la laïcité], auquel ont contribué, outre les deux éditeurs, Levent Ünsaldı, Hamit Bozarslan, Deniz Vardar, Deniz Akagül, Baskın Oran, Faruk Bilici, Ali Kazancıgil, Samim Akgönül, Jean Marcou et moi-même.
Je veux saisir cette occasion pour rendre un hommage personnel à Semih ; deux ans après sa disparition, je ressens encore mieux ce que je lui dois. C’est très simple : si je n’avais pas rencontré Semih, je ne serais pas ce que je suis.
J’ai découvert la Turquie, en touriste, en 1981. J’y suis retourné souvent. J’ai peu à peu appris le turc, par moi-même et au fil des rencontres. J’étais alors professeur d’histoire dans un lycée d’une petite sous-préfecture.
J’étais aussi lecteur du Monde Diplomatique et dans la Revue des revues, une annonce ne m’a pas échappé, qui concernait la parution du numéro 4 des CEMOTI. Je devenais un peu familier de la Turquie mais je cherchais de nouvelles approches, différentes de ce que proposait la turcologie française classique. J’ai écrit. Semih Vaner lui-même m’a répondu, très gentiment, sans aucune condescendance, aucune ironie, eu égard à ma modeste situation, et m’a envoyé un exemplaire de chaque numéro des CEMOTI déjà parus. Je ne me doutais pas que, pendant des années, ce serait mon principal lieu d’expression.
Au printemps suivant, en 1989 je crois, il m’a invité à assister à un colloque sur la modernisation autoritaire en Turquie et en Iran, au CERI. J’ai fait plus amplement connaissance avec Semih, et avec Elisabeth Picard. C’est là que tout a commencé. Semih m’a demandé une contribution sur le thème « musique et politique » en Turquie, et Elisabeth m’a invité à participer au colloque qu’elle préparait, toujours au CERI, sur les relations turco-arabes. Telle est l’origine de mes deux premiers articles sur la Turquie.
Cela m’a donné envie de continuer. J’avais 42 ans, un peu lassé du lycée, et je me suis adressé à Stéphane Yerasimos pour diriger mon DEA, qui a ouvert la voie à ma thèse. Je reviendrai une autre fois sur Stéphane, à qui je dois rendre hommage également, mais Semih m’a accompagné durant tout mes débuts de chercheur. Beaucoup plus qu’accompagné : il ne m’a jamais refusé un article pour les CEMOTI, ce qui fait que j’avais déjà bien publié avant même de soutenir ma thèse. Très gentiment, Semih me prévenait qu’il prenait volontiers mon texte, mais que, dans mon intérêt professionnel, il vaudrait mieux que je diversifie les publications. Je ne comprenais même pas ce qu’il voulait dire par là, je n’avais aucune idée des conventions, rituels, procédures et barrages établis par le milieu universitaire.
Extrêmement naïf, ne sachant comment me comporter en milieu intellectuel et parisien, j’avais le culot des timides. Il m’avait écrit : « Lors de votre prochain passage à Paris n’hésitez pas à venir me voir » et je l’avais pris au mot ! J’allais le voir à son bureau du CERI, à l’époque rue de Chevreuse, toujours sans prévenir, sans rendez-vous ; je frappais simplement à sa porte, il ne m’a jamais refusé une rencontre, le plus simplement du monde. Ce n’est qu'ultérieurement que j’ai réalisé quelle chance j’ai eu de le rencontrer : je venais de nulle part, je n’étais le poulain de personne, je n’avais aucune relation en université ou centre de recherche. Mais je ne me rendais pas compte – je m’en suis rendu compte plus tard ! – de l’importance des réseaux et des carnets d’adresses. Semih acceptait mes textes de façon désintéressée, sans aucun calcul, sans arrière pensée, sachant bien que jamais je ne pourrais lui être utile en retour.
Nous étions de la même génération, mais n’ai jamais pu tutoyer Semih. Curieusement, cet homme en réalité chaleureux avait quelquefois un dehors assez froid et distant qui aggravait ma timidité. Il pouvait même lui arriver d’être cassant, et il était parfois agacé par mes écrits et mes jugements sur son pays. Mais jamais cette distance n’a pu altérer nos relations. C’est lui qui a inventé François Antakyalı, ce pseudo sous lequel est paru un de mes papiers, car il connaissait mon penchant pour Antioche. Et je me souviens avec émotion d’une soirée passée à son domicile, en 1993 peut-être, où nous avons discuté tranquillement de nos travaux et de nos souvenirs personnels respectifs, sur les événements politiques qui nous avaient formés durant notre enfance et notre jeunesse ; il a notamment évoqué ses souvenirs des coups d’État de 1960 et 1971..
C'était un relecteur extrêmement exigeant. Ainsi, il est l'un de ceux qui m'ont appris à écrire un article scientifique. Je ne sais pas s’il aurait apprécié le texte que j’ai proposé pour ce volume d’hommages. Mais je veux croire que, puisqu’il acceptait toujours mes articles, il devait apprécier ma manière abrupte, qui n’est que le reflet de ma naïveté.
Je regrette pour lui qu’il n’ait pas été un peu enclin à la paresse. Il travaillait trop… mais c’est grâce à cela, grâce aux CEMOTI qui est son œuvre, qu’un certain nombre de jeunes et moins jeunes chercheurs ont pu s’exprimer.