En mars dernier déjà, Selahattin Demirtas avait été interpellé par la police, à Cizre (photo publiée par le site halkizbiz.com)
Ce matin 4 novembre, les autorités turques ont arrêté le co-président du HDP, Selahattin Demirtas, ainsi que onze députés du même parti. Voici un appel signé de Hisyar Özsoy, député HDP de Bingöl :
Appel urgent pour la solidarité !
Chers amis,
J'espère que vous allez pour le mieux. Je vous envoie un long message, mais s'il vous plaît ayez la patience de le lire jusqu'au bout.
Comme beaucoup le savent, le président Erdogan est en train d'imposer un régime extrêmement autoritaire aux peuples de Turquie. Il a instrumentalisé la tentative de coup d'Etat du 15 juillet pour consolider son pouvoir, en éliminant toutes les voix de l'opposition dans le pays, il a désigné notre parti, le Parti de la démocratie des peuples (HDP), comme la cible principale, car lors des élections de juin et novembre le succès que nous avons remporté a bloqué son projet de création d'un régime présidentiel en accordant à notre parti un nombre de sièges au Parlement suffisant pour bloquer le changement constitutionnel.
Son but maintenant est de paralyser notre parti avant l'éventuel référendum pour la création d 'un système présidentiel, ou avant des élections anticipées qui se tiendraient en 2017, car il sait bien que le HDP peut à nouveau obtenir des résultats décisifs.
Depuis notre succès électoral en juin 2015, et surtout depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016, Erdogan a fait emprisonner des centaines de personnes du HDP ou du parti-frère le BDP (Parti pour la paix et la démocratie) : simples militants, dirigeants, maires élus, membres de conseils municipaux. Il n'existe aucune charge contre eux.
En instaurant l'état d'exception, Erdogan est en train de polariser la société et d'aggraver les conflits ethniques et sectaires, ce qui aura pour effet de consolider l'alliance entre les ultra-nationalistes réactionnaires et les islamistes, alliance mise en œuvre après le coup du 15 juillet, alliance qui aboutirait à la mise en place d'une dictature sous couvert de « système présidentiel de type turc ».
S'il atteint son but, Erdogan ne va pas seulement s'en prendre aux Kurdes, aux Alévis, aux femmes, aux minorités et aux pauvres en Turquie, il va déstabiliser le Proche-Orient, en particulier l'Irak et la Syrie, et créer de graves problèmes à l'Europe en termes de sécurité, d'afflux de réfugiés, et d'économie.
Dans le pays il n'y a plus de liberté de la presse, de liberté académique, il n'y a plus de système judiciaire juste et indépendant du pouvoir. Par simple décret gouvernemental, plus de 170 médias ont été fermés. Les médias alévis et kurdes ont été balayés. Plus de 130 journalistes sont en prison, y compris des auteurs et intellectuels mondialement renommés.
Tout récemment, deux agences de presse kurdes et plusieurs quotidiens kurdes ont été fermés, et le rédacteur en chef, des éditorialistes et journalistes du quotidien Cumhuriyet, qui est favorable au parti pro-kémaliste CHP, ont été emprisonnés.
Des dizaines de milliers d'enseignants et universitaires ont été licenciés ou suspendus, dont un nombre important sont des Kurdes ou solidaires des Kurdes. Ces personnes n'ont absolument rien à voir avec la tentative de coup d'Etat. Plus de 80 000 fonctionnaires ont été suspendus ou licenciés. Plus de 80 000 personnes ont été mises en détention depuis le 15 juillet, dont la moitié est encore en prison à l'heure actuelle.
Le 30 octobre, Mme Gültan Kısanak et Mr Fırat Anlı, élus démocratiquement co-maires de Diyarbakır, la plus importante ville kurde de Turquie, ont été arrêtés et emprisonnés. Un gouverneur a été nommé par l'Etat pour administrer la ville, ce qui porte à 28 le nombre de municipalités mises sous tutelle directe de l'Etat. Actuellement, une trentaine de maires kurdes, démocratiquement élus, sont en prison, et 70 ont été démis de leurs fonctions par le gouvernement central. Mme Kısanak était députée et co-présidente du Parti démocratique des peuples (HDP). Mme Ayla Akat Ata, ancienne députée et porte-parole du Congrès des femmes libres kurdes (KJA) a été arrêtée le même jour.
Malgré l'avis de la Commission de Venise et du Comité des droits humains de l'Inter-Parliamentary Union, le régime d'Erdogan a continué de s'en prendre aux députés du HDP malgré l'immunité parlementaire dont ils devraient bénéficier, et qui a été levée en mai 2016.
Tout récemment, la police turque a agressé physiquement nos députées Feleknas Uca, Besime Konca et Sibel Yigitalp devant la mairie de Diyarbakır, alors qu'elles protestaient aux côtés de la population locale contre la mise en détention des deux co-maires de la ville. Mme Uca a été gravement blessée au bras et hospitalisée. Avant d'être au HDP, Mme Uca a été députée au parlement européen durant deux sessions.
Le 1er novembre, un tribunal turc a imposé l'interdiction de voyager à l'étranger à notre co-présidente Mme Figen Yüksekdag. Le 2 novembre, la Cour de cassation a approuvé une sentence de dix mois de prisons prononcée contre Mme Yüksekdag, en raison d'un discours prononcé en 2012, sous prétexte de « propagande terroriste ».
Le 3 novembre, Ferhat Encu, député (HDP) de Sırnak, s'est vu confisquer son passeport à l'aéroport d'Istanbul, alors qu'il partait pour Bruxelles. C'est, de fait, une interdiction de voyager qui a été prononcée à son encontre. Les médias pro-AKP ont prétendu que Mr Encu « allait s'envoler pour Bruxelles, un foyer du terrorisme ». Environ trente membres de la famille de Mr Encu, de simples villageois, ont été tués près du village de Roboski (Kurdistan turc) par un raid aérien en décembre 2011. C'est probablement parce qu'il a participé à un mouvement de protestation aux côtés de la population du village, condamnant le massacre et exigeant justice pour les victimes, que Mr Encu est interdit de voyager. Il est accusé de « propagande terroriste ».
Le 3 novembre, la police et des militaires ont investi le domicile de notre députée de Sırnak, Mme Aycan Irmez, et ont insulté les membres de sa famille.
Maintenant qu'il a arrêté ou démis de nombreux maires kurdes, le régime d'Erdogan et de l'AKP prépare l'arrestation des députés du HDP, et très probablement ses co-présidents. Il existe 103 charges contre Selahattin Demirtas, notre co-président, en raison du contenu de ses discours. Les charges sont toujours les mêmes : propagande terroriste.
Nous vivons une époque étrange en Turquie. Il n'y a plus que deux camps dans le pays : soit vous êtes pour Erdogan et l'AKP, soit vous êtes prétendument un soutien des putschistes du 15 juillet, ou un terroriste, ou un traitre – souvent les trois en même temps. Erdogan ne laisse aucune place à une troisième possibilité, tout doit être noir ou blanc. Mais nous, en tant que HDP, nous occupons la zone grise, et c'est intolérable aux yeux d'Erdogan.
Ce qui nous attend est plus grave encore.
S'il vous plaît, débattez de la situation en Turquie, en particulier des pressions sur les maires kurdes, sur les députés du HDP et de la répression sur les médias, dans le cadres de vos partis, de vos organisations et institutions, et agissez sans délai.
Au moment où je termine cette lettre (il est 1h 27 du matin, ce 4 novembre), je reçois des messages m'informant de l'arrestation de Mr Ferhat Encu. J'apprends que la police encercle le domicile de notre co-présidente Figen Yuksekdag, de notre député de Sırnak Leyla Birlik, et de notre député de Diyarbakir Ziya Pir. La guerre d'Erdogan contre le HDP est en train de prendre une tournure différente et extrêmement dangereuse.
Paix et solidarité !
Hisyar Özsoy, député de Bingöl, vice co-président du HDP, en charge des relations internationales, député.