On ne connaît George Orwell que pour son célébrissime 1984. La Ferme des animaux est beaucoup moins lu, et je viens seulement de découvrir Tels, tels étaient nos plaisirs, recueil de textes assez courts, huit ans après leur publication en français. Malheureusement l'éditeur n'a pas jugé utile de faire préfacer et ne donne aucune précision sur les circonstances de la première publication de chacun de ces textes.
J'ai commencé le recueil avec un peu de réticence ; il s'ouvre sur un texte à propos de Dali qui ne m'a guère intéressé, puis une critique de Koestler que j'ai trouvée un peu dure. Mais certains de ces textes illustrent de façon magistrale les qualités visionnaires d'Orwell. On connaissait ces qualités grâce à 1984, mais quelques courts textes, comme « Notes sur le nationalisme » ou « La bombe atomique et vous » sont toujours aussi frais, après plus de 70 ans. « Les lieux de loisir » anticipent de façon étonnante notre vie actuelle. Le petit essai intitulé « Tolstoï, le roi Lear et le bouffon » est une réflexion rigoureuse sur la renommée et sur l'intérêt que peuvent présenter des textes mineurs, oubliés, comme les Ecrits sur l'artde Tolstoï. Et puis, il devrait être obligatoire de lire « La politique et la langue anglaise » avant de se mettre à écrire, en anglais ou en toute autre langue, pour se persuader que tout jargon est inutile et prétentieux, et que la simplicité n'est jamais un défaut. Six conseils d'Orwell pour utiliser la langue « non dans son usage littéraire, mais seulement en tant qu'instrument permettant d'exprimer la pensée, et non de la dissimuler, encore moins de l'interdire ».
Chacun trouvera des exemples d'écriture alambiquée ou prétentieuse dont se moque Orwell, et des modèles d'écriture limpide (je pense à la langue de Norbert Elias dans La société des individus).
Mais dans ce recueil j'ai surtout aimé le court texte « Amère est la vengeance » car, à travers certains de mes sujets de recherche, ou ceux de mes proches, je suis souvent confronté au problème du pardon, de la vengeance, du ressentiment. J'y reviendrai d'ailleurs à propos de Jean Améry, auteur méconnu en France. Orwell était correspondant de guerre en Allemagne peu avant la capitulation, et à travers deux anecdotes nous enseigne que « l’idée même de vengeance et de punition est une illusion puérile. A vrai dire, on ne se venge jamais. On veut se venger lorsqu'on est impuissant, et qu'on a conscience de l'être : dès que ce sentiment d'impuissance disparaît, le désir de vengeance s'évanouit avec lui ».
George Orwell, Tels, tels étaient nos plaisirs, et autres essais (1944-1949) traduits de l'anglais par Anne Krief, Bernard Pecheur et Jaime Semprun, éd. Ivrea, 2005.